Réflexions cursives pour un congrès
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Cocogitations pour un congrès
Si nous refusons de voir la nouveauté du scientifique et du technique, le Marxisme subira le même sort que toutes les superstructures idéologiques ; il deviendra un masque de la réalité
Radovan Richta 1966
Réflexions cursives :
En 1985 Jean Colpin, membre du Bureau Politique du PCF, en profonde dépression se suicide. En 1974 il avait été mis à la tête du secteur « entreprises » du PCF. Après les élections de 1981, il est l'objet de critiques assez vives ; on lui reproche la faible efficacité de son travail en direction des ouvriers, et lui impute implicitement la perte d'influence électorale du PCF sur ce secteur.
Le nouvel observateur pouvait écrire en 2008 : « quand Billancourt éternue, la France s’enrhume". C’était il y a mille ans. Maintenant, l’Ile Seguin est une friche industrielle et il y a longtemps que la France ne s’enrhume plus, lorsque Renault éternue. »
Le 31 mars 1992, l’activité de Renault sur l’île Seguin à Billancourt s’arrête définitivement. C’est la fin d’un siècle d'automobile...
Le Parti Communiste français, la CGT sont les enfants de la séquence « grande industrie » de la révolution industrielle. Depuis les années 80 le travail en grandes unité de production stagne, l’organisation de celles-ci se modifie, l’automatisation des chaînes et des postes se développe, parallèlement, la CGT, le PCF perdent des adhérents et de l’influence.
La question du travail vient au cœur de l’actualité, le chômage de masse apparaît au cours des années 70 et ne fera que croître et embellir. De nouvelles méthodes de management apparaissent entraînant une souffrance au travail conduisant certains au suicide. Le monde du travail est coupé en deux, entre ceux qui ont un travail et qui sont en souffrance et ceux qui n’ont plus de travail ou bien sont des précaires et sont aussi en souffrance, mais d’une autre manière. Dans le même temps, la composition même du monde du travail se modifie, le centre de gravité de la production de valeur se déplace insensiblement vers le bureau d’étude.
La conscience de classe ne se « gagne » plus au coude à coude dans l’atelier, confronté directement à l’exploitation, le PCF ne prend pas la mesure, la CGT non plus.
Les années 70-80 voient arriver les ordinateurs dans les entreprises, en gestion d’abord, puis à la production, apparaît alors chez IBM le concept de système d’information d’une entreprise (dû à Jean Pierre Nigoul avec qui j'ai écris Cyber révolution).
Les réseaux commencent à se développer (anneau à jetons d’IBM), le minitel (Médium interactif par numérisation d'information téléphonique).
L’ anneau à jeton d’IBM[1] est un réseau interne à l’entreprise, il met en réseau les différents éléments du système d’information de l’entreprise au milieu des années 80 ;
En 1977 paraît le rapport Nora-Minc sur l'informatisation de la société, il aura une diffusion et un impact considérables, il avance le concept de télématique et est à l'origine du minitel. Le minitel tend à généraliser le téléphone, c’est le précurseur de l’internet, à la technologie des trames près, sa spécificité c’est de mettre TOUTE la société en réseau, du moins d’en donner la possibilité, cette spécificité n’est alors comprise par le PCF qu’à travers le concept de révolution informationnelle (années 80) trop restrictif , sans doute était-il difficile d’en comprendre plus à l’époque.
Les années 90 et surtout les années 2000 voient la fusion des réseaux et l’apparition et généralisation d’Internet (le réseau des réseaux) Internet atteint le grand public vers 1994 et prendra toute sa place en 2014 (81% des foyers français connectés) entre temps le CERN a mis au service d’internet le web (toile d’araignée informatique mondiale), inventé en 1989 au CERN.
A partir de là, c’est de Cyber Révolution qu’il faut parler[2] l’ouvrage éponyme restant ignoré au sein du PCF bien que sonnant l’alarme sur les bouleversements en cours. Ce n’est plus seulement la production qui est concernée, c’est toute la société et son organisation qui vont être bouleversées[3], mais les organisations politiques et syndicales de classe ne suivent pas, ou de très loin et très superficiellement, elles ne prennent pas en compte les modifications ni des structures nouvelles de la formation de la valeur, de l’exploitation, les dangers et les opportunités politiques qui apparaissent.
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La question qui vient de suite est « pourquoi ni le PCF ni la CGT » n’arrivent à prendre ces changements en compte de façon structurelle ?
Essayons nous à une tentative d’analyse
Notre essai a principalement pour but de « réveiller » ceux, trop nombreux nous semble-t-il, qui consacrent unilatéralement leurs efforts à la connaissance du passé lointain et d’un présent sans cesse passé, sans les relier, à l’instar de Marx et Engels à l’avenir.
Léon Lavallée Pour une prospective marxiste -1970-
La révolution scientifique et technique, révolution cybernétique[4]
Les éléments de la crise se nouent dans les années autour de 1968. En 1966, la revue L’Homme et la société (Persée aujourd’hui) publie une série d’articles sur la révolution scientifique et technique (RST) ou révolution cybernétique, de ceux qui deviendront par la suite pour certains des théoriciens du printemps de Prague, Radovan Richta[5], Ota Klein, Ota Sik.
C’est le lord anglais, marxiste, John Daniel Bernal qui a introduit le concept de Révolution Scientifique et Technique (1939). Il y voyait l’illustration de la thèse de Marx selon laquelle « l’histoire de l’humanité, c’est in fine l’histoire de ses forces productives ». Il s’agit là d’un processus dialectique dans lequel se transforment les forces productives, leur structure et leur dynamique.
La science devient alors la base de toute production[6], c'est le sens de la formule de Marx sur "la science force productive directe", elle permet l’introduction de technologies nouvelles à la base de la production, éloignant la main de l’homme, sa force de travail, de son emploi immédiat dans le processus de production. Elle autorise ainsi, employée au bénéfice de la libération du travail aliéné, une activité créatrice et démultiplie, dans la production marchande la productivité du travail humain.
Une caractéristique de l’époque à partir de laquelle nous tentons cette analyse c’est la rapidité à laquelle se développent alors science et technologie, apparaissent alors automatisation et automation dans la production, c’est cet aspect d'automatisation/automation à marche forcée qui autorise à parler de révolution cybernétique[7].
Les travailleurs de cette révolution cybernétique ne sont déjà plus ceux de la révolution industrielle, la prise de conscience, diffuse sans doute, de cet état de fait va conduire aux événements de 1968, et le phénomène dépasse largement les frontières françaises et occidentales.
Deux événements vont marquer durablement cette époque :
En France : Le manifeste de Champigny[8] du Parti Communiste en prend acte et tente de réorienter la politique du PCF en fonction de cette situation.
En Europe de l’est, le printemps de Prague.
A partir des années 70[9], les résultats électoraux du PCF stricto sensu à l’élection présidentielle vont décroître assez vite[10], montrant une désaffection et une perte de crédibilité nationale, la sociologie du Parti elle-même se modifie, et le « parti de la classe ouvrière » décroche du monde ouvrier d’abord insensiblement, puis au point que plus aucun parlementaire communiste n’est issu de la classe ouvrière.
Dès l’après 68, les étudiants entrent en masse à l’université, l’objectif étant que 80% d’une classe d’âge ait le bac, lequel bac, étant le premier diplôme de l’enseignement supérieur, ces 80% sont susceptibles d’aller à l’université et ceux là, qui vont occuper des postes importants dans la société, ne se reconnaissent pas dans la classe ouvrière qui a elle-même tendance à les rejeter[11]. La structure du monde du travail change, la révolution cybernétique qui démarre a de moins en moins besoin de la force physique, elle automatise le travail de l’ouvrier en l’en dépossédant. Les revendications ouvrières, salariales, directes ou indirectes, la diminution du temps de travail font dangereusement baisser le taux de profit, donc le capital automatise afin de relever la productivité. Ce faisant, il ne fait qu’accélérer le mouvement. La complexification des dispositifs[12] quelle soit quantitative ou qualitative a entraîné aussi une diversification de la production et des statuts différents de travailleurs. La révolution cybernétique renvoie la conception au bureau d’études et la fabrication aux machines transfert et autres centres d’usinages commandés par des ordinateurs.
Le centre de gravité de la production de valeur se déplace d’autant et de même façon. Tout ce qu'il n'est pas rentable d'automatiser, est "délocalisé" dans les pays à bas coût de main-d'œuvre (taux de profit toujours).
Des prolétaires, certes, mais pas des ouvriers !
Tous ces nouveaux travailleurs, de plus en plus éloignés de la transformation de la matière palpable ne sont plus des ouvriers au sens commun du terme, ni de fait ni de conscience, ils ne se reconnaissent pas – à juste titre – dans cette catégorisation qui a trop perduré.
Le terme Classe ouvrière a eu son heure de gloire tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle et la première du XXe car il correspondait alors pour l’essentiel au prolétariat industriel. Quoique la révolution bolchévique se soit faite en s'appuyant aussi sur le prolétariat paysan.
L’état de prolétaire est un rapport social
Le PCF (et d’autres PC) vont s’accrocher à ce concept alors qu’il perd de sa pertinence, c’est le concept de prolétaire qui est pertinent, c’est LE concept scientifique. Le prolétariat est la classe des prolétaires, de ceux qui n’ont pour vivre que la vente (plutôt d’ailleurs la location) de leur force de travail[13]. Le rapport social attaché est précisément ce rapport de vente ; c’est aussi pourquoi il ne faut pas évoquer le marché du travail mais bien plutôt le marché de la force de travail c’est sensiblement différent. Les mots ont un sens dans la bataille idéologique.
N’oublions pas « Ce qui distingue une société d’une autre, c’est la façon dont les marchandises y sont produites et échangées ». C’est bien là ce qui distingue le système féodal du capitalisme, l’un est basé sur la terre, l’autre sur la réification de la marchandise et la production élargie d’icelle générant de la valeur.
Les classes c’est classe !
Ce qui est fondamental c’est donc la production des éléments nécessaires à la vie dans une société donnée, peu importe les formes et outils de cette production ; et il est par conséquent indispensable de définir les classes sociales par rapport à ça.
Il est vain, au risque de faire diversion, de vouloir redéfinir les classes par rapport à des critères sociétaux, ethniques, religieux, de genre ou autres. De même le concept de domination est-il contingent et lié à une histoire sociale plus qu’à d’autres considérations. Là aussi, c’est le rapport exploité-exploiteur qui génère la domination principale et ce n’est qu’en se posant par rapport à ce rapport social qu’on peut aborder la construction de la société communiste ; la lutte contre les rapports de domination ne saurait avoir la même pertinence ni la même capacité à combattre le capitalisme. Les rapports dominant/dominé traversent l’histoire des modes de production et disons le, tout groupe humain à un titre ou un autre.
Nous sommes donc fondés à définir les classes par rapport au rapport social d’exploitation.
Les classes populaires n’existent pas !
C'est l'apport essentiel du Manifeste Communiste paru en 1848 qui rompt avec l'idologie de la première internationale qui -elle- parle de classes populaires, de lutte des pauvres contre les riches, avec en filigrane un zeste d'idéologie religieuse, consciemment ou non. C'est la fameux "Philosophie de la misère" de Proudhon auquel Marx répondra par "Misère de la philosophie". Le Manifeste communiste lui utilise une terme scientifique, qu'il redéfinit au passage, qui est celui de prolétariat en tant que classe des prolétaires. Réutiliser au XXIe siècle le pseudo-concept de classe populaire, avec ou sans "s" c'est reculer de deux siècles dans la pensée révolutionnaire et la compréhension des rapports sociaux !
Ceci étant dit, la production est complexe et donc les statuts de ceux qui y participent sont divers et ont même tendance à se diversifier.
Si on se place par rapport à la production de marchandises, on doit distinguer schématiquement trois situations principales :
- celle du propriétaire des moyens de production qui achète la force de travail et accumule le profit lié à la plus-value (ou survaleur), le capitaliste dans toute sa « splendeur » quoi ;
- la situation de prolétaire qui vend (loue) sa force de travail pour pouvoir vivre et toucher une rémunération qui lui permette de vivre lui et sa famille ;
- un peu des deux, c’est-à-dire le travailleur indépendant qui à la fois possède du capital productif (moyens de production, terres agricoles…) et produit lui-même et dans ce cas vend le produit de son travail, c’est une sorte d’artisan, ou ne produit par lui-même qu’en complément de revenu et se prolétarise par ailleurs. Cette situation est d'ailleurs contradictoire, on peut considérer dans ce dernier ensemble des situations très diverses, et en particulier, l'artisanat qui renvoie à la période précédent la grande industrie est directement menacé d'extinction dès lors que son activité ne ressortit pas à une niche "écologique" qui ne présente pas d'intéret pour la grande industrie et le capital afférent. Mais apparraîssent aussi de ces petites unités de production très spécialisées qui externalisent des fonctions liées à la grande industrie et en sont très directement dépendantes.
Mais la réalité sensible ne se réduit pas à ça même si c’est structurant. Il s’agit là stricto-sensu du rapport direct à la production de marchandises. La société réelle est un peu plus complexe.
Il existe des catégories (ce ne sont plus alors des classes) de travailleurs d’une autre nature qui participent du fonctionnement de la société mais n’entrent pas strictement dans ces catégories, par exemple les employés de banque ou les infirmiers, les policiers, juges, notaires, fonctionnaires … et tout le personnel de service.
La lutte des classes
Il faut éviter dans ce genre d’analyse d’aller trop loin dans la description fine pour un militant ou un dirigeant politique, là c’est le rôle du sociologue, de l’universitaire. Au sein des classes elles-mêmes, il y a des situations très différentes. Je me souviens ici de discussions byzantines sur le fait de savoir si le chauffeur de bus parisien fait ou non partie de la classe ouvrière.
Le matin oui quand il amène les travailleurs au boulot, et le soir quand il les ramène chez eux, mais dans la journée, non, quand il emmène les bourgeois et bourgeoises faire les magasins. La différence entre le fraiseur-outilleur OHQ[14] des usines automobiles, le boucher-découpeur à la chaîne d’une chaîne de distribution de viande tient à la nature du travail, si j’ajoute à ça le laborantin du laboratoire pharmaceutique, ou le chercheur du bureau des méthodes, quel est le point commun entre ces travailleurs, et pratiquement tous les autres ?
C’est le rapport d’exploitation, pas la nature du travail effectué, ce sont des prolétaires et certains des ouvriers et d'autres non.
C’est pourquoi la lutte de classes se « joue » au niveau systémique c’est-à-dire que c’est une lutte du monde du travail aliéné (sous toutes ses formes) et du capital, la lutte dite capital/travail.
De même au sein de la classe capitaliste, celle qui possède les moyens de production et d’échange il y a des différences notables, entre par exemple banquiers et « chevaliers d’industrie » (quand ce ne sont pas les mêmes) entre patrons de PME et multinationales donneuses d’ordres, entre production matérielle traditionnelle et GAFA[15] par exemple.
La lutte se mène contre la classe capitaliste dans son ensemble, mais il faut savoir jouer des contradictions, et savoir aussi que ce ne sont que des contradictions au sein de cette classe.
Le rapport de la théorie à la pratique
A suivre
[1] Token ring en anglais
[2] Voir l’ouvrage Cyber Révolution Ed. Le temps des Cerises 2002
[3] Nous avions commencé à l’évoquer dans « Une Révolution par l’intelligence » article « L’informatique aujourd’hui, questions pour demain » p. 41- 60, Ed. Messidor, Août 1989.
[4] A ne pas confondre avec la Cyber révolution.
[5] La civilisation au carrefour Radovan Richta, seuil 1973.
[6] The social function of science J.D. Bernal George Routled & sons, London 1939. C’est ce qui a amené à utiliser le concept de Science force productive directe.
[7] A ne pas confondre avec le concept de Cyber révolution
[8] PCF décembre 1968.
[9] The Freedom of necessity J.D. Bernal George Routled & sons, London 1949.
[10] Il faut bien dire que cette élection, et par la suite le couplage avec les législatives, a été faite spécifiquement pour qu’il en soit ainsi.
[11] Anecdote significative : en 1968, secrétaire à l’organisation du secteur grandes écoles de l’Union des Etudiants Communistes, rejoignant une manifestation ouvrière, je me suis fait cogner par le Service d’Ordre syndical lorsque j’ai dit que j’étais étudiant !
[12] Qu’on pense un seul instant au nombre de pièces de tous ordres entre une 4cv renault et une laguna pour prendre des véhicules de même marque, ou encore à un téléphone des années 50 et un téléphone de maintenant
[13] D’ailleurs les journaliers agricoles ou les dockers soumis aux acconiers sont des prolétaires, mais ne font pas partie de la classe ouvrière. On peut considérer à l’heure actuelle, dans la production actuelle que le salariat recouvre en gros le prolétariat (quoique les fonctionnaires…) mais pas l'inverse.
[14] Ouvrier Hautement Qualifié
[15] PME Petites et moyennes entreprises, TPE Très Petites Entreprises, GAFA Google, Apple, Facebook, Amazon.