France, tes Lumières déclinent

  • Yvan Lavallée

Le relativisme en sciences comme l’irrationalisme sont la marque de la bourgeoisie  sur la défensive historique qui mène une bataille idéologique acharnée pour empêcher l’émergence d’une pensée rationnelle susceptible de dévoiler l’obsolescence historique et le caractère mortifère de cette classe. L'ennui est tout de même que certains, et non des moindres, à gauche font de même.

 

 Ramses II ne pouvait pas mourir de la tuberculose, puisque le bacille de Koch n’avait pas été découvert[1] 

 

D’Eschylle à Jammy en panne d’émission de vulgarisation scientifique, en passant par Jadot , les temps sont durs pour les rationalistes. La France des Lumières est bien malade, et l’attaque ne vient pas seulement d’une pensée bourgeoise qui cherche à maintenir le système de production et d’échanges basé sur l’extorsion de la plus-value et n’a plus aucune velléité révolutionnaire, au contraire.

La mésaventure que vient de vivre à La Sorbonne Philippe Brunet avec le théâtre grec est la manifestation d’un gauchisme profondément réactionnaire basé sur le racialisme et l’indigénisme. Des activistes ont en effet empêché que se joue la pièce Les suppliantes au prétexte que, comme le veut la tradition du théâtre grec, des acteurs utilisaient des masques noirs ce qui a donné prétexte à quelques illuminés prétendument défenseurs de la cause noire pour crier haro sur la pièce d’Eschyle et empêcher qu’elle soit jouée. Cela ne va pas sans rappeler les tentatives de censure sur la pièce Sul concetto di volto nel figlio di Dio de Romeo Castellucci et les vaticinations des catholiques intégristes. Sans doute eut-il été judicieux que les masques ne fussent pas noirs, mais bon.

 

L’ambiance générale est délétère quand au pays des Lumières la voyance draîne plus d’argent que le budget consacré à la recherche publique, que l’enseignement des mathématiques devient optionnel dans l’enseignement secondaire, et que le travail et l’inconscient sont malmenés dans l’enseignement de la philosophie. Qu’on ne s’y trompe pas, cette amputation dans le cursus scolaire de la pensée mathématique aboutie, en particulier du concept et de la pratique de la démonstration logique  n’est pas anodin. Par ailleurs, ne jamais rencontrer ni Marx ni Freud, c’est déjà possible aujourd’hui, la liste des auteurs au programme n’étant pas impérative, les enseignants « piochent » parmi ces auteurs, mais ne sont pas tenus de les aborder. Il faudrait être bien naïf pour ne pas voir dans cette proposition de modification des programmes un signe fort envoyé, au-delà même de la philosophie, à l’opinion publique d’une obsolescence de la pensée critique, marxiste en particulier bien sûr, et ce au nom de la modernité.

Il s’agit là de la bataille idéologique, au sens fort du terme, d’autant plus que c’est tout le programme de l’enseignement qui est chamboulé et orienté vers une philosophie officielle insidieuse, idéaliste bien entendu, avec une ode au libéralisme en tant que sublimation de l’individu, le tout commençant, l’aurait-on cru, par un chapitre Métaphysique. Le XIXe siècle n’est pas loin !

C’est la jeunesse qui est ici visée ; on lui donne des outils conceptuels ringards ou émoussés repeints aux couleurs de la liberté individuelle (en fait du libéralisme de J.B. Say). Et ce sous couvert de nécessité d’introduire des matières nouvelles. L’irrationnel ici n’est pas fortuit, il a un sens, celui d’une classe dominante sur la défensive historique.

 

Cette irrationalité dans laquelle s’enfonce notre société libérale ne touche pas que le monde culturel. Quand un Yannick Jadot qui se prétend écologiste en vient à défendre le libéralisme, quelle est la rationalité de la démarche ? Je ne vais pas ici énumérer tous les contresens et oxymorons du discours de certains écologistes. A la fois pour l’arrêt de la production électronucléaire versus production énergétique décarbonnée et pour le moteur à hydrogène sans poser la question de la production de ce gaz, et surtout sans poser la question des transports en commun et donc du service public. Ou encore plus prosaïquement être contre le compteur électrique Linky et prôner la production locale et « verte » de l’électricité alors que ledit compteur est précisément la pièce maîtresse qui permet que le réseau électrique soit géré en « grille », ce qui rend ainsi possible la gestion souple des différentes sources d’énergie.

Ce qui compte là, et de façon générale comme en témoigne l’exergue de cet article, c’est le discours pour lui-même, la forme, pas le fond, il faut choquer, provoquer, d’où la mode des bobards (fake news en français !), tel Dupont Aignan lors du débat télévisé du cinq avril avec ses dix huit millions de migrants. L’essentiel c’est de briller, marquer les esprits, il en restera toujours quelque chose, peu importe la véracité ou la cohérence logique du discours. C’est ainsi que Jean Luc Mélenchon,  candidat à l’élection présidentielle, après avoir passé trente ans dans un parti politique défendant l’électro-nucléaire, se déclare urbi orbi contre, histoire de récupérer le courant écolo-obscurantiste. C’est aussi ce que fit Lionel Jospin en son temps en faisant arrêter le réacteur nucléaire expérimental superphénix en espérant récupérer lui aussi les voix écologistes qui lui manquaient pour assurer sa ré-élection, ça n’a pas suffit et superphénix est arrêté ce qui « casse » la cohérence de la filière électronucléaire car c’était l’outil susceptible de « brûler » les déchets de nos centrales à fission et d’en réduire le volume et la durée de vie de façon drastique. Dans le même mouvement, les quinze ans d’avance qu’avaient pris les ingénieurs français sur cette filière sont perdus. Il en va de même pour la décision concernant l’arrêt du programme  Astrid de réacteur expérimental à neutrons rapides, cent fois plus performant que les réacteurs actuels.

Le même Mélenchon, grand orateur plus préoccupé des effets de manches que de rigueur scientifique reprochait à l’ouvrage de V.I. Lénine Matérialisme et empiriocriticisme  écrit en 1905 de ne pas avoir pris en compte la controverse entre Bohr et Einstein ? Comme l’écrit la physcien Pascal Lederer[2], « rien n'était entendu entre Einstein et Bohr sur la mécanique quantique en 1905. On croit donc comprendre que cette discussion portait sur le paradoxe Einstein-Podolski-Rosen, qui posait, en désaccord avec Bohr, la question de la complétude de la mécanique quantique. D'une part cette discussion n'eut pas lieu en 1905, mais en 1935, d'autre part la relation d'indétermination de Heisenberg, qui guide la pensée de Mélenchon, date de 1925. ». De même confusion à propos du théorème KAM[3] où le même Mélenchon, s’aventurant en sciences confond mécanique quantique et mécanique classique non linéaire. N’insistons pas sur la cuistrerie du personnage.

Cette prédominance du discours brillant, du « show bizz » accompagne une démission de la pensée des Lumières, c’est ainsi que prennent corps les peurs irrationnelles, sur les vaccins, sur les OGM, sur les nanotechnologies, sur le nucléaire, sur les pesticides…Il ne s’agit pas de nier ici le danger qui consisterait à adopter une attitude technophile inconsidérée, mais il nous faut poser les problèmes en toutes leurs dimensions, y compris politiques car les choix technologiques qui concernent et engagent la société revêtent toujours un caractère politique.

Concernant, entre autres la pratique des pesticides et plus généralement l’utilisation de toute substance, rappelons nous cet exorde de Paracelse (1494 – 1541).  « Tout est poison et rien n’est sans poison; la dose seule fait qu’une chose n’est pas un poison. » rappelons au passage que le curare, ce poison très violent a été très largement utilisé en médecine pour des anesthésies.

A l’heure où le prêche, la croyance, l’émotion priment, il est indispensable de revenir au primat de l’analyse rationnelle. La peur n’a jamais été un élément d’analyse.

 

Le credo du capitalisme c’est accumuler le maximum de capital, et donc de profit, dans le minimum de temps, peu importent les  moyens, et donc aussi les dégâts environnementaux.

Qui plus est, avec le libéralisme, la société est vue comme une juxtaposition d’intérêts individuels. Dans ces conditions, comme l’avait fait remarquer Cécile Duflot en son temps dans un éclair de lucidité, lors de sa démission du gouvernement, la préservation de l’environnement est un vain mot en système capitaliste, Nicolas Hulot en a lui aussi fait l’expérience.

Une société basée sur l’intérêt commun, à l’heure du dérèglement climatique est à l’ordre du jour malgré la prédation capitaliste de la nature. La rationalité exige une gestion globale des ressources de la planète. Les sciences et techniques offrent dès aujourd’hui la perspective d’une production guidée par la satisfaction des besoins et non pas basée sur l’exploitation capitaliste ni la prédation sauvage de l’écosystème. Mais cela nécessite une gestion et par conséquent une vision à long terme (pluri décennale, voire pluriséculaire) de l’écosystème. Cela touche là aussi à l’irrationalité de la course aux armements, nucléaires en particulier, comme à la militarisation de l’espace eu égard aux sommes fabuleuses ainsi stérilisées et qui pourraient servir à contrecarrer les effets du dérèglement climatique. Non seulement les sommes au sens financier, mais aussi les forces intellectuelles et l’outil industriel afférent. La démarche qui préside à la possibilité du suicide nucléaire (Les accidents révélés comme la fausse alerte à une attaque de missiles en URSS, ou la perte de deux bombes H en état de marche par un bombardier US et dont une seule a été retrouvée laissent mal augurer de la soi-disant sécurité apportée par « l’équilibre de la terreur ».) interroge la rationalité de la lutte contre les conséquences du dérèglement climatique dû au réchauffement anthropique.

C’est avec la revue Progressistes (www.revue-progressistes.org) que nous menons la bataille pour la réappropriation du rationalisme par le mouvement révolutionnaire. Plus particulièrement Progressistes  traite des rapports entre la science, le travail et l’environnement. L’histoire de l'humanité étant celle de ses forces productives, il convient en toute rationalité de comprendre le mouvement de ces forces, son impact sur la façon de produire et travailler, et sur notre écosystème.

 


[1] On trouvera cette remarque d’une rare irrationalité dans Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts [Latour et Woolgar, 1979]

[2] https://blogs.mediapart.fr/pascallederer/blog/270518/la-mecanique-quantique-soutient-melenchon

[3] Kolmogorov Arnold Moser 1954-1963

 
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