Face au changement climatique, le champ des possibles

  • Yvan Lavallée

 

Dans l’atmosphère feutrée de l’Auditorium Bettencourt, l’Académie des Sciences a organisé les 28 et 29 janvier 2020 deux journées consacrées à la crise climatique. Nous revenons ici sur ces deux journées, dont les organisateurs principaux sont (Sébastien Balibar, Jean Jouzel, et Hervé Le Treut) qui a servi de cadre aux intervenants : « Notre planète se réchauffe, l’acidité des océans augmente, la sécheresse sévit par-ci et les pluies torrentielles par-là, les forêts prennent feu, les ouragans battent tous leurs records, les glaciers fondent, la biodiversité recule... Réunis à Paris en 2015 pour une 21e édition de la COP (conférence des parties) les pays du monde entier avaient reconnu la responsabilité humaine dans ce changement climatique et proposé de limiter le réchauffement nettement en dessous de 2 °C par rapport aux années 1880-1900. Pour y parvenir, chaque pays avait présenté des transitions énergétiques ambitieuses. Mais quatre ans plus tard, les transports, l'habitat, l'activité industrielle et agricole émettent toujours plus de gaz à effet de serre, et l'objectif semble hors d'atteinte. Il faudra s'adapter au réchauffement mais les transitions énergétiques doivent être engagées d'urgence sur la base de solutions réalistes. Cela nécessite des efforts solidaires, de la recherche et beaucoup d'information. Au lendemain de la COP25 tenue en Espagne sous la présidence du Chili, et à l'occasion de ce colloque ouvert à tous, l’Académie des sciences propose au public de venir débattre des problèmes scientifiques, sociaux et politiques qui se posent à nos sociétés»

 

Des 24 interventions, nous avons relevé les propos particulièrement alarmants de Valérie Masson-Delmotte sur les mesures de température et les conséquences du réchauffement degré après degré. On en retiendra également qu’elle prône l’électrification massive des activités humaines, en ces temps où une démarche de clientélisme écologique conduit un président de la République déconsidéré à fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, ce qui va conduire à terme à envoyer 1100 tonnes de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, on appréciera.

Nicolas Meilhan a fait remarquer que les malus sur les voitures lourdes étaient tout à fait inopérants, que la mode des SUV a complètement annulé les progrès de l’efficacité des moteurs thermiques, que les mesures d’émissions de CO2 se feront en laboratoire et non en conditions réelles jusqu’en 2030.

 

Nous avons aussi relevé les propos qui, à défaut d’être rassurants, ouvrent des perspectives nouvelles : ainsi, Isabelle Czernichowski-Lauriol a évoqué le captage et le stockage du CO2 à grande échelle, Philippe Malbranche, de l’alliance solaire internationale, a donné une vision très optimiste des sources d’énergie renouvelables (éoliennes et panneaux photovoltaïques) sans trop s’attarder toutefois sur les problèmes d’intermittence ni de la logistique associée (quantité de béton nécessaire, centrales à gaz de recouvrement…). Jean-Marie Tarascon a évoqué des batteries moins coûteuses basées sur des matières abondantes, équipées de circuits de diagnostic, voire d’autoréparation en cas de défaillances. Yves Bréchet a brossé les perspectives du potentiel de la production électrique nucléaire en circuit fermé avec recyclage partiel des combustibles, qui permettrait de retarder l’épuisement de ressources non–renouvelables de 100 à 1000 ans, sans émettre du CO2, ce qui rejoint le propos de Valérie Masson-Delmotte sur la nécessaire électrification massive des activités humaines.

 

Mireille Delmas-Marty, posant le problème par sa globalisation prise comme une possible chance pour l’humanité, a brossé un tableau des ressources contestées du droit supranational (« flou, mou ou doux ») et d’une refondation des nations, qui ne seraient plus basées sur un récit national plus ou moins mythologique, mais sur une anticipation commune du futur sanctionnée par un droit international « RCD », à savoir Responsabilité Commune et Différenciée. Elle pose là de fait un problème fondamentalement politique auquel d’une façon ou d’une autre l’humanité sera confrontée bon gré, mal gré, et plus tôt que tard.

 

Pierre Léna a appelé à une meilleure préparation des instituteurs et autres enseignants.

 

Céline Guivarch et Henri Waisman ont essayé de nous montrer à quoi pourrait ressembler un monde atteignant l’objectif, fixé dans l’Accord de Paris sur le climat, « de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement sous les deux degrés

 

Hervé le Treut a abordé l’évolution des territoires sous l’influence des changements climatiques. Il note que nous avons de moins en moins la possibilité de modifier significativement l’évolution climatique locale par nos propres actions. Il est donc nécessaire de nous adapter préventivement à des évolutions qui relèvent à la fois de la part déjà irrémédiable des changements à venir et des retards ou échecs possibles des actions internationales. Les territoires ont dans ce cadre un rôle privilégié à jouer.

 

Anny Cazenave a discuté du fonctionnement complexe du système climatique et son évolution sous l’effet des forçages naturels et anthropiques, ainsi que les impacts du changement climatique sur les systèmes naturels et sociétés humaines, les grands organismes internationaux et les agences spatiales de nombreux pays ont recommandé ou mis en place, depuis environ trois décennies, une grande variété de systèmes d’observation de paramètres climatiques, aux échelles globale, régionales et locales.

 

Le GCOS (Global Climate Observing System) a défini plusieurs dizaines de variables climatiques essentielles des ECV (Essential Climate Variables) devant être observées de façon très précise sur le long terme, depuis l’espace ou du sol, pour mieux comprendre les processus en jeu et leurs interactions, et valider les modèles simulant les évolutions futures.

 

Jean Pierre Gattuso évoqua les risques encourus par les organismes et les écosystèmes marins suite à leur acidification, ainsi que les services qu’ils nous rendent. Deux scénarios seront pris en compte : la poursuite des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le rythme actuel, et leur diminution de manière à limiter la hausse de la température de la planète au-dessous 2°C d’ici 2100, en adéquation avec l’Accord de Paris. Le niveau de l’océan a monté de 5 cm en un siècle. L’océan est à la fois un acteur et une victime des changements climatiques.

 

Olivier Boucher disserta sur les modèles du climat et leurs limites. Le propos est poursuivi avec les interventions de Venkatrami Balaji, Sonia Seneviratine et Isabelle Chuine qui précisent le propos en fonction des technologies disponibles  et de la prise en compte des événements extrêmes. Isabelle Chuine a montré à quel point la biosphère est menacée, et comment les arbres et autres végétaux auront de la peine à migrer vers des latitudes plus clémentes. Sonia Seneviratne a donné une perspective des événements extrêmes. Ainsi, une augmentation moyenne de 1.5° C n’exclut pas des augmentations locales de 5° voire 8° C.

 

La rédaction de Progressistes, invitée, présente en force, a été frappée par l’absence de toute dimension politique des débats. Le terme « capitalisme » n’a pas été mentionné une seule fois, le terme « sociétal » permettant de masquer les enjeux réellement politiques. Les appels aux normes et règles qui devraient être édictées par les Etats n’ont jamais été accompagnés d’avertissements du fait que nombre de ces mêmes Etats sont tombés sous la coupe d’oligarques peu enclins à se battre pour la planète et s’appuyant sur des idéologies niant l’action humaine sur le climat et l’environnement au nom de principes plus ou moins religieux (évangélisme par exemple).

 

L’enjeu est ici, et qui apparaît en filigrane tout au long des exposés, que la préservation du climat et de l’environnement est incompatible avec une vision à l’échelle d’un territoire ou d’un pays et à court terme. La question se pose à l’échelle planétaire comme relevé par Mireille Delmas-Marty et nécessiterait une gestion à cette échelle et sur des constantes de temps incompatibles avec la boulimie d’accumulation de capital qui caractérise le système de production et d’échanges qu’est le capitalisme.

Mais comme en un célèbre procès « la question ne sera pas posée ».

Ce sont là les limites de l’exercice, si la technique et la science ne sont que des outils, c’est au niveau politique que ces outils sont mis en œuvre.

 

Si le capital vient à trouver profits dans le dérèglement climatique, alors il n’y a pas de raison pour qu’il actionne résolument les dits outils.

 

Une quinzaine de jeunes étudiantes et étudiants, emmenés par Serge Planton, avaient préparé quelques questions assez timorées, par exemple sur l’expertise scientifique pour la parole politique. En effet, nombre de politiques émettent des avis, voire des injonctions, sans justification scientifique. Seule une question, du troisième groupe de jeunes intervenants faisant allusion aux politiques publiques et innovations sociales et sociétales, aux conséquences de la sobriété choisie, a attiré quelques applaudissements.

 

Les journées se sont conclues par quelques mondanités assez convenues de Cédric Vilani, du prince de Monaco, et de Laurent Fabius.

https://www.academie-sciences.fr/fr/Colloques-conferences-et-debats/changement-climatique.html

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Thème Magazine -  Hébergé par Overblog