Conscience de Science

  • Yvan Lavallée

 

Il n’y a pas de route royale pour la science et ceux-là seulement ont une chance d’arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir ses sentiers escarpés.

K.M.

Article écrit afin d'être publié dans le journal L'Ormée du premier trimestre 2023

L’ambiance générale est délétère quand au pays des Lumières la voyance draine plus d’argent que le budget consacré à la recherche publique, qu’au cours d’une pandémie de létalité inconnue depuis la grippe espagnole en 1919, nombre de citoyens, et pire, de médecins se sont déclarés antivax, qu’il est de bon ton chez certains de nier les résultats scientifiques, de se vanter : « oh moi je suis nul en maths » ; que l’enseignement des mathématiques devient optionnel dans l’enseignement secondaire, et où des élèves de l'École Nationale d'Administration sont obligés de faire pétition pour avoir droit à une formation à un vernis scientifique censé leur permettre de saisir les enjeux écologiques contemporains. Qu’on ne s’y trompe pas, cette amputation dans le cursus scolaire de la pensée mathématique aboutie, et plus généralement scientifique, n’est pas anodine. C’est la jeunesse qui est visée ; on lui donne des outils conceptuels ringards ou émoussés. L’irrationnel ici n’est pas fortuit, il a un sens, celui d’une classe dominante sur la défensive historique. La pensée rationnelle, scientifique, est « en soi » révolutionnaire et en ce sens dangereuse pour la classe bourgeoise actuellement au pouvoir. Au lendemain de la Révolution française, la bourgeoisie, alors révolutionnaire, en 1794, a créé le CNAM (Conservatoire National des Arts et des Métiers) pour montrer les machines nouvelles et familiariser le peuple citoyen avec les techniques, et la science. Marx considérait la science comme une « force qui actionnait l’histoire[1] ». Ce n’est pas par hasard qu’il écrit dans sa Préface à la critique de l’économie politique que l’histoire de l’humanité c’est in fine celle de ses forces productives.

La compréhension du monde passe par la compréhension des enjeux des sciences et des techniques qui le structurent, autant sciences dites dures que sciences sociales. Sans compréhension, il n’y a pas d’espoir de transformation positive, tout au plus, croyances et religions viendront soulager l'esprit de la "créature opprimée". On ne peut participer efficacement à un débat sur l’écologie ou l’énergie  sans avoir un peu plus qu’un simple vernis scientifique, il faut comprendre le sens des quantités mises en jeu, comprendre ce que signifie « évolution », bref comprendre les proportions.

Ce qu’il est convenu d’appeler Intelligence artificielle qui est en fait de l’apprentissage algorithmique est présenté plus ou moins comme « magique » car rien n’est fait pour en montrer tenants et aboutissants alors que c’est une technique appelée à bousculer nombre de nos façons d’agir et il y a donc un enjeu social important qui y est lié, ce qui nécessite de bien comprendre ce dont il s’agit pour que le vulgum pecus en puisse avoir la maîtrise nécessaire lui permettant d’exercer son contrôle démocratique. Le syntagme Intelligence artificielle est en lui-même porteur d’ambigüité ; c’est la traduction brute de l’anglais Artificial Intelligence alors que nul n’a traduit Intelligence service par service intelligent. En 1957 l’informaticien français Philippe Dreyfus crée le mot informatique  en lieu et place de l’anglais computer science ; la science d’un instrument  n’ayant aucun sens pour un latin. Le mot informatique s‘est imposé depuis même en anglais où il s’écrit informatic . Il serait bienvenu de trouver une traduction idoine à Artificial intelligence, le concept d’intelligence associé à des objets laissant dubitatif et tient d’une démarche béhavioriste typiquement anglo-saxonne, porteuse d’une idéologie réductionniste.      

Au delà de telle ou telle connaissance formelle, c’est au niveau de la méthode qu’il faut agir sur les jeunes générations mais aussi sur la population en général. Les média de masse ont là une responsabilité importante à jouer. Lorsque la télévision ou plus généralement la grande presse sous toutes ses formes remplacera dans ses programmes et ses pages, les heures et articles consacrés à telle ou telle famille royale ou aux amours des starlettes, par des reportages sur, ou entretiens avec, des travailleurs scientifiques, de renom ou non, des émissions aux heures de grande écoute sur l’activité scientifique, alors nombre de vocations se feront jour dans la jeunesse et l’irrationalité régressera d’autant. Lorsque les modèles ou héros qu’on présente à la jeunesse sont drogués, ou pire, comment peut-on vouloir que celle-ci s‘intéresse aux sciences ? Précisément là encore ces choix ne sont pas anodins, nous sommes là dans la logique dénoncée par le poète Juvenal : Panem et circenses  autrement dit du pain et des jeux !  

On vient de voir aux actualités, à juste titre, la cérémonie des césars récompensant des films, acteurs et réalisateurs. C’est effectivement important au plan culturel. Le 21 mars 2023 aura lieu la remise de la Grande médaille de l’Académie des Sciences à Terence Chi-Shen Tao génial mathématicien australien par ailleurs médaille field en 2006, à Paris. Gageons qu’il est quasi improbable (concept mathématique !) que la télévision publique retransmette en direct la cérémonie et diffuse un entretien avec le récipiendaire. Ainsi, Cédric Villani médaille field 2011 a-t-il eu droit à un entretien à la télévision qui a porté plus sur la broche en forme d’araignée qui ornait sa poitrine que sur ses travaux et je n’ai pas souvenir qu’une émission ait été consacrée à essayer de faire saisir le sens de ses travaux. De même, Alain Aspect, physicien français a-t-il obtenu le prix Nobel de physique en 2022, ce qui n’a donné lieu qu’à une information vite oubliée, noyée dans un fatras de futilités d’un intérêt et d’une importance nettement moindre pour la société.

 

[1] F. Engels discours sur la tombe de Karl Marx.

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