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Informatique et I.A. Remarques cursives

  • Yvan Lavallée

L’avenir de l’IA réside dans la démocratisation1

1 Préambule

La question sémantique est majeure, surtout pour des peuples de culture non anglo-saxonne, latine en particulier pour ce qui nous concerne. C’est un enjeu culturel certes, mais pas seulement, il y a une composante scientifique, philosophique et éthique. Les mots portent des concepts; pour les anglo-saxons comportementalistes (behavioristes) et profondément individualistes, dès lors qu’un animal ou un objet a un comportement pouvant ressembler à un comportement humain, il est déclaré intelligent. Il en est ainsi du test de T uring. C’est du réduction- nisme, et du pire qui soit. Nul ici n’a traduit Intelligence Service par Service Intelligent ça se saurait si tel était le cas. Avec l’I.A., c’est d’information qu’il s’agit et pas d’intelligence. En 1957 on a su créer les mots (et les concepts qui vont avec) informatique, ordinateur quand on voulait nous imposer computer et computing ou encore data processing2. Il serait bien de trouver un autre syntagme rendant compte de I.A. (par ex. Informatique Avancée ou Informatique Apprenante si on veut garder les initiales). En fait c’est de l’apprentissage algorithmique (A.A. ?). Il y a là un enjeu culturel, voire idéologique. Il en va du statut de l’humain dans le monde qui ne saurait être réduit aux choses ou objets, et de l’humanité qui n’est pas une simple juxtaposition d’individus. C’est une position qui se veut matérialiste mais qui est fondamentalement réactionnaire car c’est du matérialisme mécanique qui considère que l’intelligence est distillée par le cerveau comme la bile l’est par le foie !

1.1 Recherche

Les rapports entre science et technique se sont modifiés au cours de l’histoire humaine3. Pour rester dans une période récente, au début de la révolution industrielle, la technique précède la science, on invente la machine à vapeur avant de développer la thermodynamique pour améliorer le rendement de la machine à vapeur (Carnot).

C’est évidemment l’inverse pour la maîtrise de l’atome. De même, l’informatique est-elle née d’une découverte majeure en mathématiques théoriques (problème d’indécidabilité - Kurt Gödel & Alan Mathison Turing -)Désormais, il n’y a plus vraiment de frontière bien nette entre les deux, entre recherche fondamentale et recherche appliquée. La recherche fondamentale fournit le socle des connaissances et le travaille sans cesse ; la recherche appliquée ou/et technologique s‘appuie sur ce socle, et l’interroge parfois pour créer des artefacts et structurer la société tant du point de vue économique que sociétal. C’est un enjeu à la fois culturel, d’indépendance et d’industrialisation. Les grandes nations sont celles qui portent un intérêt majeur à la recherche et à la formation scientifique et technique, c’est la condition de leur pérennité !

2 Recherche fondamentale

Ce qui signifie en clair qu’il faut développer la recherche fondamentale tous azimuts, tant en mathématiques, en physique, physiologie... Ce n’est pas en diminuant les crédits consacrés à la recherche fondamentale, ni en obligeant les équipes à travailler sur des contrats qui sont nécessairement limités dans le temps et associés à des financements non pérennes ou/et « ciblés » qu’on restaurera une école de recherche de haut niveau dans la France des Langevin, Poincaré, Curies, Joliot, et autres Alain Aspect ou Cédric Villani...

La recherche fondamentale est un FRONT, on ne fait pas de la recherche fondamentale pour un but pratique mais pour en savoir plus, et surtout,
ce qui est incompréhensible pour des financiers obtus (pléonasme), pour soulever de nouvelles questions et poser de nouveaux problèmes. Ce type de recherche ne peut être à but lucratif ! On ne peut fixer des objectifs précis ni des temporalités à cette recherche. C’est le terreau sur lequel se développe le reste. Les grandes nations sont celles qui savent consacrer de gros moyens à la recherche fondamentale et à la formation afférente. Débarrassée des aspects militaires, elle s’appuie sur la coopération internationale.

On parle beaucoup d’ordinateurs quantiques, mais de mon strict point de vue, tant qu’au plan de la recherche fondamentale, le problème de l’intrication quantique n’est pas résolu, il n’y a aucun espoir, faire des processeurs qui fonctionnent au zéro absolu (00 Kelvin ou 273, 150 Celsius) ou presque, le zéro absolu ne pouvant être atteint (théorème de Walther Nernst !). L’intrication est en effet un problème technologique majeur et de caractère contradictoire. Il faut préserver l’intrication si on veut profiter des caractéristiques quantiques durant le calcul. Il faut absolument éviter la décohérence des qbits intriqués (les états quantiques intriqués) et, d’un point de vue technologique, la décohérence n’est pas due seulement à la température, une onde électromagnétique, ou une lecture (observation) intermédiaire peut également la provoquer. Par contre il faut pouvoir « lire » le résultat du calcul et là l’intrication pose problème !

3 Recherche appliquée et technologique

La maîtrise industrielle y est liée ! En ce qui concerne l’I.A. les thèmes majeurs en sont :

1. L’informatique « pure et dure » :

(a) Logicielle : algorithmique, complexité, langages, systèmes d’exploitation, crypto, cyber-sécurité...

• il ne peut y avoir d’I.A. sans processeurs adaptés, GPU (Graphics Processors Units ou Processeurs graphiques qui présentent un parallélisme massif)5. L’expérience deepseek montre que le matériel ne fait pas tout, car c’est à partir de GPU du marché, pas les plus sophistiqués, que semble avoir été réalisé l’I.A. Deepseek. C’est donc du côté de la conception d’ensemble et de l’algorithmique qu’il faut aussi et surtout, là se tourner, d’autant plus qu’il semble bien que DeepSeek ait été conçu à partir d’un code soviétique datant de 1985 basé sur les travaux de l’académicien Victor Gluskhov (1923-1982) père de la Cybernétique Soviétique, dit Algorithme de construction d’automates et expression régulières dans la droite ligne de l’école des automates de Markov. Ceci étant dit, la recherche française est dans la course avec le logiciel Mistral et pourraît être dans le peloton de tête si la recherche, en particulier publique (INRIA, CNRS...) était mieux soutenue;

  • l’indépendance nationale passe aussi par des capacités de calcul de haut niveau indépendantes du bon vouloir US.
    La France avec Bull-Atos a un savoir-faire unique en Europe de construction des Super ordinateurs
    6 à plusieurs milliards d’opérations/seconde. Il n’y a que 5 pays actuellement au monde capables de produire de telles machines : USA, Russie, Chine. L e Japon a jeté le gant, l’Inde et la France. Cependant ces savoirs faire risquent d’être bradés sous de fallacieux prétextes financiers cachant de fait une vassalisation scientifique, technique, mais aussi politique à l'impérialisme anglo-saxon. L’informatique, I.A. ou pas, de l’Armée Française (et DONC de l’indépendance nationale) ne peut pas dépendre du bon vouloir d’autres (suivez mon regard)...

    Qui dit Super ordinateurs dit aussi les processeurs et toute l’électronique qui va avec (attention aux portes dérobées - ou Backdoor en français - dans les dispositifs électroniques, qui sont préprogrammées pour la diffusion d’informations vers certaines agences gouvernementales ...) Le chips Act européen d’avril 2024 pour une indépendance sur les semi- conducteurs, est un soubresaut bien tardif ;

  • qui dit processeurs dit aussi micro-processeurs et doncgravure, là en France il y a le CEA qui fait des choses, (notamment sur les alternatives au silicium) et quelques autres petites entreprises en termes de taille.
    Où en est-on en matière de lithographie, y-a-t-il des technologies alternatives ? Il semble bien que la Chine ait utilisé une technologie différente de celle habituelle pour obtenir des gravures à
    2μ et moins, qu’en est-il réellement ? On a par ailleurs un excellent fondeur, ST Micro-electronics ;

• le calcul quantique. Le problème qui y est lié est celui de la complexité calculatoire (problème P vs N P et NPC) en particulier pour la cryptologie et la cryptographie (mais pas seulement). Là, il n’y a aucun espoir concret tant qu’on ne sait pas résoudre le problème de l’intrication quantique. Même avec des dispositifs cryogéniques très gourmands en énergie, autour du 00K le résultat ne peut être que probabiliste. Là c’est la recherche fondamentale en physique qui seule peut faire la rupture, mais pour frôler le zéro K, il faut paradoxalement énormément d’énergie. Il y a 4 briques technologiques clé autour du quantique qui participent de la recherche :

  • –  la cryogénie,

  • –  le qbit,

  • –  le système de contrôle du qbit,

  • –  la correction d’erreurs, à cause du fait que le problème de la décohérence quantique n’est pas résolu,

  • Il existe des technologies plus tolérantes à la température, mais de façon plus concrète, le problème est celui de la tolérance à l’erreur ; on en est actuellement à des taux de quelques 1000 ou 10.000 bits correcteurs d’erreur pour 1 qbit, donc on perd très rapidement « l’avantage quantique » et le résultat n’est de toute façon que probabiliste.

    Si on est déjà capable d’implémenter des calculs de type  Algorithme de Grover (recherche et classification rapide) ou Algorithme de Shor (factorisation de grands nombres) on ne sait pas lire le résultat du calcul7... la question même du registre de sortie est extrêmement complexe dans le cas de l’Ordinateur Quantique. C’est alors que se pose le problème de l’intrication.

(b) Et les probabilités ? Par contre il existe peut-être une alternative plus réaliste à température ambiante, c’est le p-computing qu’on peut traduire par informatique probabiliste ou p-informatique (voir: https://arxiv.org/abs/2302.06457) l’idée en est que les résultats d’informatique quantique étant probabilistes, pourquoi ne pas partir de ce point de vue et élaborer des algorithmes probabilistes ou des processeurs idoines ?

i. systèmes embarqués là le problème des portes dérobées est crucial car il met les dits systèmes en dépendance des fournisseurs de processeurs;

ii. systèmesmatériels autresquel’architectureVonNeumann, systèmes neuromorphiques, systèmes dédiés ;

  • informatique neuromorphe: Neuromorphe signifie ”de la forme du cerveau”. Le mot clé ici est « forme » (à distinguer du fond !). La recherche en I.A. porte sur la simulation, de fonctions cognitives. Créer un processeur neuromorphe implique le développement de composants dont les fonctions sont analogues à ce que l’on pense que font des parties du cerveau .

  • les processeurs neuromorphiques s’inspirent du fonctionnement du cerveau humain pour le traitement des données8,

  • l’informatique neuromorphique utilise des réseaux de neurones artificiels pour le traitement des données,

  • l’une de ses caractéristiques les plus importantes est le traitement parallèle et simultané des informations. Cela permet ainsi d‘accélérer considérablement le traitement des données,

  • les processeurs neuromorphiques intègrent la mémoire et la puissance de calcul au sein des mêmes unités de traitement. Cette intégration étroite permet d’optimiser l’efficacité énergétique et de réduire les goulets d’étranglement, ce qui contribue à améliorer les performances globales du système, les processeurs neuromorphiques présentent des avantages dans les processus d’apprentissage, à savoir :

    • –  vitesse: Ils sont beaucoup plus rapides que les processeurs classiques pour la reconnaissance d’images et la reconnaissance vocale ;

    • –  efficacité énergétique : Ils sont plus économes en énergie que les processeurs classiques ;

    • –  Apprentissage automatique: ils sont capables d’apprendre et de s’adapter au fil du temps, ce qui leur permet d’améliorer leurs performances.

      (c) Applications; 

    • Cesprocesseurs sont encore en cours dedéveloppement, nombre de défis sont à relever en recherche, en particulier le passage à des fonctions supérieures, mais ils ont le potentiel de faire évoluer drastiquement nombre de domaines :

      i. I. A. : Ils peuvent être utilisés pour développer des systèmes d’I.A. plus puissants et plus efficaces ;

      ii. Robotique: Ils peuvent être utilisés pour développer des robots plus autonomes ;

    • iii. Internet des objets: Ils peuvent être utilisés pour développer des appareils plus économes en énergie.

 

(d) Défis Parmi les défis à relever pour leur développement, on peut citer :

  • Programmation : définir des langages et méthodologies adaptés ;

  • Consommation d’énergie : bien qu’individuellement les composants en soient économes en énergie, ils en consomment encore car il faut une grande quantité de tels processeurs ;

  • Coût: Ils sont encore très chers. Les processeurs neuromorphiques sont une technologie prometteuse qui a le potentiel de révolutionner de nombreux domaines. Malgré les défis à relever, les progrès dans ce domaine sont très encourageants. Les réseaux de neurones formels ou physiques ressortissent à cette démarche.

2. Les réseaux : la transmission sure (cryptologie, effet quantique ?), rapide (fibre optique), par satellites .

Là il y a besoin d’accords internationaux pour assurer la pérennité et la sécurité des liaisons physiques. Les réseaux sociaux. Les réseaux dits sociaux sont des espaces de communication -localisation, propriété privée, pertinence des algorithmes... L’enjeu est celui de
la diffusion des idées, ce sont des lieux sur lesquels se forge l’opinion des gens et leur information, l’enjeu idéologique est là majeur, d’autant plus lorsqu’ils véhiculent les fameuses vérités alternatives. Ces réseaux ne devraient pas être privés, ils ressortissent au service public (et surtout pas à un service au public).

La privatisation de ces réseaux est un vrai problème, le commu- niqué de la commission numérique du PCF est excellent. L’internet doit être un service public et géré comme tel9, de même pour les bases de données

4 Les bases de données :

l’I.A. ne peut se déployer qu’en s’appuyant sur des bases de données. L’I.A. ne pense pas, n’a pas peur de la mort ni de quoi que ce soit, elle n’est pas amoureuse ni triste, ni sensible aux frustrations. Ce qu’elle produit est au mieux -pour l’I.A. générative- une combinatoire de ce qui existe déjà. Au mieux l’I.A. invente (au sens d’ inventaire).

Cette particularité des bases de données doit éveiller l’attention sur le contenu d’icelles, les informations qu’elles donnent sont celles auxquelles elles ont accès. Ainsi si les bases de données sont saturées de « vérités alternatives » elles produiront des combinaisons de ces vérités alterna- tives comme la Terre plate et autres billevesées moins évidentes sus- ceptibles de conduire à manipulations et désinformation idéologiques comme Staline = Hitler.

Cela pose la question du contrôle et donc de la propriété privée ou publique et de l’accès à ces bases de données, de leur localisation (redon- dantes, distribuées ?), voire de leur spécialisation.

La consommation électrique : les bases ou banques de données né- cessitent des lieux physiques de stockage redondants (pour raison de sécurité) voire distribués et sont donc fortement énergivores, une re- quête d’I.A. générative sur ces bases de données consomme au bas mot 10 fois plus d’énergie électrique en moyenne qu’une requête google par exemple.

La localisation physique : le lieu physique de présence des centres informatiques des données (Data Centers en français !) crée une dépen- dance vis-à-vis des possesseurs de ces centres, qu’ils soient privés ou pas.

5 Point de vue personnel

SMALL IS BEAUTIFULL10

Avec DeepS eek-R1 Le 20 janvier 2025, l’entreprise chinoise annonce son premier modèle, DeepS eek-R1, qui emploie une chaîne développant des étapes logiques successives aux requêtes et en donne accès à l’utilisateur. Le modèle, publié avec son code source sous licence MIT, bouleverse le secteur de l’IA par un coût de développement se chiffrant en millions plutôt qu’en milliards de dollars ou d’euros, des performances compara- bles aux meilleurs acteurs du secteur, et une consommation en ressources de calcul notablement inférieure11. Il conviendrait tout de même de con- naître la taille des bases de données utilisées et la puissance de calcul mise en œuvre !

Des puces ! De même en matière de lithographie, confrontés aux sanc- tions illégales extrajudiciaires US, les chinois ont semble-t-il trouvé une autre solution largement prometteuse pour la gravure des puces infor- matique à 2μ et moins !

Commentaire La Chine prend là une longueur d’avance et crée une situation nouvelle qu’il convient d’analyser scientifiquement ET poli- tiquement sous l’angle du développement des forces productives et des conséquences induites. Si la situation se confirme, en particulier main- tenant dans les domaines spatial, biologique et militaire, le rapport de

forces mondial est entrain de basculer et c’est la Chine qui va donner le ”la” en matière scientifique et technique et les autres qui vont courir derrière. Ce sera d’autant plus vrai si se confirme la volonté de mettre à disposition du plus grand nombre et à moindre coût les avancées scien- tifiques et techniques. Je ne saurais trop recommander à vos enfants et petits enfants d’apprendre le mandarin (et peut-être aussi l’indhi) !

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1C’est en s’enrichissant des expériences des utilisateurs que l’I.A. progresse...

2De même dans le domaine des systèmes d’exploitation on utilise glâneur de cellules pour garbage collector d’initiales : g.c.

3Voir Collection La Science et les hommes– Le travail- éditions La farandole 1991 p.36. Ça c’est pour dire que c’est une réflexion qui vient de loin dans la Parti, il y avait eu aussi en 89 « Une Révolution par l’intelligence » coordonné par René Le Guen, puis ”Cyber Révolution” en 2002 et 2023 mais c’est une autre histoire là.

4On passe de : p T S S T P avec P = production; T = technique; S = Science, voir Pour une prospective marxiste Ed. Sociales 1969 -Léon Lavallée-

5On peut se demander pourquoi des processeurs graphiques; la réponse tient dans leur parallélisme massif.

6En ce qui concerne l’I.A. ces super-ordinateurs sont surtout utiles au niveau des bases de données tant logiques que physiques (centre de données ou -Data-center- en français ! 

7Miaou, tout ça à cause du chat de Schrödinger!

8 Attention toutefois à cet anthropomorphisme, aucun avion ne vole comme un oiseau, aucun poisson ne nage comme un bateau, la nature n’a pas inventé la roue...

9Contrairement à une vulgate très répandue, ”service public” ne signifie pas que le contenu soit contrôlé par l’état, les modalités restent à définir, comme pour la Sécurité Sociale à l’origine qui aurait dû être gérée par les usagers.

10Bien sûr tout est relatif, on passe là du milliard au million, c’est tout de même un rapport 1000. 11Ceci dit, connaissant un peu la façon de travailler des chinois, je ne serais pas étonné par d’autres

annonces du même type dans un avenir proche !

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