Texte du séminaire Marx XXIeme siècle du 28 Janvier 2017
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Avertissement
Il s'agit là de l'essentiel de l'intervention qu'une malencontreuse situation m'a empêché de prononcer au séminaire de La Sorbonne le 28 Janvier 2017.
Ce texte pêche par son côté cursif dû au fait que c'était le texte d'un discours, j'essaierais de l'améliorer au cours du temps. En particulier la partie concernant le transhumanisme mérite mieux que ce qui est écrit là, mais j'y reviendrai. Tout celà est en chantier et est un chantier, et je souhaite de nombreux commentaires.
Marx au XXIe siècle, l’esprit
& la lettre
Intelligence artificielle, néo-libéralisme, UBER, transhumanisme
Tout d’abord merci à Jean Salem et Aymeric Monville, Rémy Heirrera et Anne Durand, de m’avoir invité à intervenir dans ce séminaire et d’avoir institué celui-ci en ce lieu chargé d’histoire, tant tradition de libération et lutte contre l’obscurantisme que de conformisme à l’idéologie dominante. Il est dans la logique des choses que ce soit fait par Jean Salem !
Ainsi va le monde, contradictoirement !
J’insiste sur l’importance que j’accorde au fait qu’un séminaire se réclamant de la filiation marxiste puisse se tenir en ce lieu prestigieux à une époque où de nouveau menace la géhenne fascisante.
O
Bon alors ce séminaire s’intitule : Marx au XXIe siècle, l’esprit & la lettre
Il est peu probable que je sois dans la lettre de Marx, même si
je me réclame de la pensée marxiste, c’est-à-dire du matérialisme dialectique et historique oui, je sais le matdial, c’est mal vu, mais bon, on ne se refait pas. A défaut d’être dans la lettre, je vais tâcher d’être dans l’esprit.
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La science et la technologie ont de tout temps structuré la vie des sociétés. À l'heure où le mouvement révolutionnaire se cherche de nouveau, les interrogations anciennes se reformulent, les repères ont besoin d'être retravaillés pour être mieux réaffirmés, ancrés dans la réalité mouvante. La période historique qui vient de s'écouler a été marquée au cours du vingtième siècle de conquêtes ouvrières arrachées de haute lutte, trop souvent payées comptant au prix du sang, constamment à défendre, à consolider et à approfondir, d’une victoire qu’on aurait pu espérer définitive sur le fascisme. Cette période a aussi été marquée dans ses trente dernières années par une défaite historique du mouvement révolutionnaire et une restauration et un renforcement de l’ordre capitaliste. Une voie de la libération humaine s'est fermée, il nous revient de créer les conditions d'en ouvrir d'autres sous peine de voir sombrer l'humanité dans l'obscurantisme et une régression majeure, voire être menacée de disparition pure et simple. La contre-révolution actuelle qui remet en cause tous les acquis de pays dits développés, montre s’il en était encore besoin que les grands acquis sociaux du XXe siècle, n’ont existé qu’à l’ombre du rapport de forces issu d’abord d’Octobre 1917, puis de la victoire soviétique sur le fascisme en 1945.
Le capital momentanément triomphant fait donner les grandes orgues de sa propagande, rebaptisée communication. Trop s'y laissent prendre dont on aurait pu espérer qu'ils avaient dépassé ce stade. Le discours subjectiviste n'a pas épargné le mouvement révolutionnaire qui s'était pourtant historiquement formé et structuré à partir des analyses marxistes.
La guerre idéologique fait rage
Cette guerre idéologique a conduit à une tentative de criminalisation de l’histoire du mouvement révolutionnaire du XXe siècle. Malheureusement, des forces se réclamant du combat émancipateur se sont laissé entraîner dans cette impasse et ont ainsi perdu leur dynamisme et leur créativité en s’inscrivant de fait dans la logique de l’idéologie dominante. Le temps est venu, d’une ré-évaluation de cette période, sans en masquer les faiblesses ni les erreurs, ni même les crimes, mais en en reconnaissant tous les mérites ainsi que ceux des dirigeants les plus éminents. Les dirigeants communistes qui, par lâcheté ou bêtise, ont cédé sous la pression de l’idéologie dominante et la campagne de criminalisation se sont disqualifiés devant l’histoire, le jugement en sera sévère. Cette abdication est due en fait à une faiblesse théorique, à un manque de vision « historique » et à un déficit d’appréhension du monde actuel et de sa dynamique.
Si l’histoire de l’humanité c’est in fine l’histoire de ses forces productives, alors il est temps d’essayer de saisir le sens de l’évolution de celles-ci pour ne pas laisser le champ libre au capital et éviter des attitudes du type Canuts auxquelles je crains bien qu’on assiste ici où là ; c’est-à-dire une position défensive n’offrant guère de perspective.
Un exemple récent et terrible pour le mouvement ouvrier est celui de la loi El Komeri. La lutte contre cette loi de casse du code du travail est une lutte contre mais n'a rien da'utre à proposer que le pré-existant dans un premier temps. Prenant conscience du manque, le mouvement de contestation élabore un contre- projet, mais il est écrit par des juristes bien installés. Le prolétariat en lutte, ses organisations de lutte de classe, n'ont pas pris la mesure du problème, la dynamique des forces productives, de la révolution numérique, du développement impétueux de la phase actuelle des sciences et techniques qui rendent obsolètes certaines façons de produire, et les rapports au travail et à l'emploi. Le prolétariat, ses organisations de lutte, n'ont pas su anticiper et être en mesure de proposer, non pas un code du travail (il y a bien eu un "code noir"! ) mais des droits nouveaux pour les travailleurs, une organisation de la production libérant le travail humain. Ce manque de perspective est dû à une absence d’analyse du mouvement des forces productives (désormais FP dans ce texte) et du manque de projet historique qui va avec.
Tout d’abord il nous faut comprendre ce dont il s’agit au niveau des sciences et techniques qui sous-tendent les dites FP matérielles pour pouvoir comprendre comment ça influe sur la FP humaine qui ne se réduit pas à la juxtaposition des individus, mais qui crée société. Je vais donc essayer de lever le voile sur ces mots magiques répercutés à longueur d’antenne et de pages de journaux que sont intelligence artificielle et algorithme. Mots barbares qui permettent de participer à la campagne anxiogène ambiante.
L’intelligence artificielle
Sir Mansfield Smith-Cumming (1859-1923) aurait-il pu
penser qu’on pourrait un jour confondre l’Intelligence Service avec un service intelligent ?
C’est pourtant bien là la « légende urbaine » qui court concernant l’artificial intelligence qui occupe les colonnes des journaux, voire les écrans de toutes sortes.
Ainsi, il nous faudrait nous méfier des intelligences artificielles suivant une mode typiquement anglo-saxonne et importée ici.
De quoi s’agit-il ? Dans un premier temps il s’agissait, y
compris inconsciemment, aux chercheurs et enseignants informaticiens de frapper les imaginations pour atteindre à une visibilité scientifique difficile à obtenir dans le paysage de la recherche européenne historiquement fortement structuré depuis la fin du XIXe siècle, l’informatique n’y étant alors considérée tout au plus que comme une technique, une façon d’utiliser des calculateurs pour effectuer de grands calculs. L’activité scientifique étant largement dominée par la
physique dans les deux premiers tiers du XXe siècle, les physiciens considéraient l’informatique comme une discipline de service, pas comme une science à part entière. Le succès aidant, l’expression a pris son sens anthropomorphique, à tel point qu’on a également inventé les termes de vie artificielle, de neurones artificiels, de réseaux de neurones. Le terme de virus informatique relève de la même démarche conceptuelle.
Il faut le dire ici, ce qu’on appelle intelligence artificielle c’est tout d’abord une algorithmique pour affronter des situations
où la combinatoire des possibles exclut les procédures exhaustives. Il a donc fallu mettre au point des procédures
(algorithmes !) idoines. C’est ainsi qu’on peut faire jouer un ordinateur aux échecs et faire en sorte qu’il gagne à tous les coups (Nous l'avions prévu dès 1992, voir "La pensée n°282" numéro spécial Sciences Cognitives) alors que le nombre de parties possibles (de l’ordre de 10110) est supérieur au nombre d’électrons dans l’univers (de l’ordre de 1090). De même pour le jeu de GO dont permettez moi de signaler quand même que le premier logiciel capable de s’attaquer aux grand maîtres, qui a servi de base à AlphaGO de Google a été conçu chez les barbares sous- développés de Corée du Nord dont je suis étonné que la presse ne nous dise pas qu’il a été programmé avec des bouliers !
Behaviorisme, I.A., Informatique :
On traduit allègrement l’anglais artificial intelligence par le français intelligence artificielle ( Pour une présentation facilement compréhensible de ce qu'est l'intelligence Artificielle, lire L'homme & les techniques ed. Messidor-la-Farandole).
On est là devant un problème de culture, les anglo-saxons sont pour l’essentiel tentés par le behaviorisme (comportementalisme).
Ainsi en anglais, l’informatique s’est dite d’abord data processing puis computer science c’est-à-dire traitement de données puis science du calculateur, le traitement de données n’étant tout au plus vu que comme une activité commerciale. C’aurait pu être à la rigueur computing science mais non. La science d’une machine, ça n’existe pas dans la culture latine, fut-ce un calculateur, là est la différence profonde. Informatique a un sens très différend le dit test de Turing en témoigne qui juge extérieurement de l’intelligence d’une chose (une situation ?) par l’observation qu’on en peut faire. C’est une vision mécaniste du matérialisme, l’intelligence humaine y est vue comme secrétée par le cerveau comme la bile par la vésicule biliaire. C’est ce qui fait que par dérive on en vient à parler d’objets intelligents, la voiture intelligente, l’autocuiseur intelligent…
Si on définit l’intelligence comme une capacité à faire ceci ou cela, alors les ordinateurs sont ou seront en capacité de le faire, ils peuvent agir, faire, simuler, calculer plus vite que tout être humain, c’est même pour ça qu’on en conçoit et fabrique, encore faut-il leur dire de le faire, directement ou indirectement.
Un ordinateur n’a pas de désir, ni de pulsion, il n’aime, ne hait, ne souffre, n’est confronté à sa mort, ni ne pense, il n’a pas de généalogie ni de fratrie, donc pas de frustration, il ne se pose pas de question sur l’avenir, n’a pas de projet personnel, ne triche pas s’il n’est pas programmé pour. Un ordinateur est capable d’énoncer deux cents théorèmes de mathématiques par jour, ça n’a que très peu d’intérêt car ce qui compte ce sont les théorèmes utiles or ce sont les hommes qui décident de ce qui leur est utile ou pas.
L'ombre de l'intelligence
Depuis très longtemps, les hommes ont entretenu une relation ambiguë avec "l'intelligence", la revendiquant comme spécifiquement humaine d'une part, essayant de l'inclure dans des machines ou des objets d'autre part et craignant alors qu'elle leur échappe.
Très tôt les hommes ont cherché à reproduire l'apparence et
le mouvement des êtres de leur milieu vital. Animer le monde qui l'entoure pour s'en rendre maître a été un des premiers actes d'une humanité attribuant aux images et à la parole une force magique. Dans l'univers du primitif, tout a une âme. Mais la route a été longue, ça vient de très loin dans l’humanité, en fait c’est lié au développement des outils (les Forces Productives matérielles encore...). Ainsi, l'outil que l'on manipule ne peut agir que parce que des forces occultes y consentent auxquelles il faut faire allégeance. De même la position des étoiles dans le ciel, et les figures quelles suggèrent sont des signes auxquels on est soumis, etc. Le processus d'hominisation voit l'homme se voulant à l'image d'un hypothétique "Grand architecte de l'univers", essayer de maîtriser ces forces qui animent les choses et les êtres, il cherche à transmettre à ses créations et ses créatures ce qui fait sa spécificité, c’est-à-dire son intelligence. Cette transmission se fait de différentes façons, magiquement d'abord, mécaniquement ensuite, par l'intermédiaire de l'électronique aujourd'hui, sans doute de la bionique demain. Dans l’univers du néo-libéral, tout est objet sans âme (ce que le Vieux Barbu appelait les eaux froides du calcul égoïste) et ne compte que par son utilité immédiate, donc son rapport qualité/prix. Les individus ne sont que des « entités » qui ont des intérêts divergents voire antagoniques, les uns exploitant les autres, la technicisation des relations tend à renforcer cette tendance, lorsqu’on ne communique plus que par écran ou hologramme interposé, il finit par y avoir confusion entre l’hologramme et l’objet ou la personne qu’il représente et ça fait l’affaire du libéral qui considère que ce qu’il appelle la société est composée d’individus, en fait d’entités juxtaposées, en concurrence les uns avec tous les autres. Un
glissement sémantique fait ici que l’entité en question peut facilement être une machine, un robot et le fait qu’il y ait engouement pour des robots androïdes n’est pas innocent de ce point de vue.
Le temps de la fiction
La littérature bien sûr s'est emparée du thème, qu'il s'agisse des Eglogues de Virgile, ou de l'Eve future et son éternel féminin de Villiers de L'Isle Adam. Karel Çapeck inventa le terme de ROBOT (1920) pour remplacer celui d'automate. Le cinéma n'est pas en reste. Le héros du film de Stanley Kubrick, 2001 Odyssée de l'espace est un ordinateur qui envoie dans l'espace intersidéral, après avoir pris le pouvoir dans la station orbitale, un cosmonaute qui devient ainsi par la "volonté" de l'ordinateur et la magie du film, l'élément fécondateur d'une intelligence universelle. On voit bien là la mythification de l'ordinateur, et plus généralement de la machine propre à une conception anglo-saxonne. La Créature de Frankenstein n'est pas loin.
Deus ex machina
Un ordinateur est aujourd’hui champion du monde du jeu de
GO, hier des échecs, en est-il intelligent pour autant ?
Le terme d'intelligence artificielle2, fut créé en 1956 par John Mac Carthy au cours d'une conférence au Dartmouth college (Hanover, new Hampshire). L'invention et l'utilisation de ce terme sont significatifs d'une démarche anthropomorphique alors qu'existe la Cybernétique qui concerne le même champ de connaissances, et même au-delà.
On retrouve là la démarche mécaniste par rapport à l'intelligence. Il n'y aurait qu'à comprendre le fonctionnement du cerveau, et à le reproduire pour fabriquer de l'intelligence. Il s'agit d'une démarche surprenante pour des scientifiques. L'observation de la nature est utile pour en dégager des lois, mais il ne s'agit pas de la singer. Aucun avion ne vole comme un oiseau, Dame nature n'a inventé la roue que lorsque les humains l'ont inventée. Simuler le comportement du cerveau pour en comprendre le fonctionnement est une chose, espérer faire produire à de tels simulateurs, de l'intelligence en est une autre. C'est du reste la position de Turing lui même.
Il y a là une totale évacuation de la production sociale de l'intelligence. Les hommes ne sont intelligents que parce qu'ils vivent en société, les mésaventures d'enfants abandonnés et élevés par des animaux en témoignent. On peut assimiler l’Intelligence au processus d’hominisation, lequel est toujours en cours, et on ne peut ignorer dans ce processus d’hominisation la production d’outils de plus en plus perfectionnés et efficaces, c’est-à-dire des Forces Productives. Le découpage chronologique des grandes ères du développement des humains, en témoigne : maîtrise du feu, paléolithique, néolithique, âge du bronze, âge du fer…
Il s'agit en matière d’I.A. d'une branche de l'informatique.
En informatique, on utilise des algorithmes pour résoudre des problèmes, et le codage de ces algorithmes en un langage compréhensible par la machine s'appelle un programme.
Malheureusement, la théorie de la complexité algorithmique nous apprend qu'il existe un certain nombre de problèmes, bien sûr, les plus intéressants, pour lesquels, quelle que soit la puissance des ordinateurs utilisés, le temps de calcul nécessaire à la résolution exacte de problèmes de petite taille (une centaine de variables) est de l'ordre de quelques dizaines de milliers de siècles. On se contente alors d'utiliser des algorithmes qui donnent de "bonnes solutions", qu'on appelle
des heuristiques, voire des "solutions approchées". On appelle ainsi Intelligence Artificielle un ensemble de techniques qui vont de l'exploration combinatoire par utilisation d'heuristiques pour lutter contre l’exhaustivité des procédures, à l'inférence logique en passant par de la manipulation symbolique et de la représentation de données.
Il s'agit bien là d'un ensemble de techniques et non d'un corpus scientifique, techniques qui ressortissent à une activité algorithmique. Pour ce qui est des algorithmes dits génétiques, ils n'ont de génétiques que le nom. Il est pour le moins curieux de voir qu'on considère comme une avancée majeure le fait de stocker à un haut niveau d'abstraction, de l'information sous forme binaire et de combiner entre elles des séquences binaires avec un argument statistique de convergence. Il y a bien longtemps que les séquences algorithmiques des systèmes d'exploitation des ordinateurs sont binaires.
Alors d’où ça vient tout ça ? L’histoire lointaine
Deux siècles avant l’ère chrétienne déjà, le mécanisme d’Anticythère, plus ancien mécanisme à engrenages connus, véritable préhistoire de l’ordinateur, témoigne d’une activité scientifique et technique basée sur des automatismes. Quatre siècles plus tard, Héron d’Alexandrie conçoit et met en œuvre des mécanismes automatiques d’ouverture de portes, une turbine à vapeur (l’éolipile) et moultes autres mécanismes. Au XIVe siècle le savant perse Al Kwarizmi va systématiser la procédure de résolution des équations du second degré. Le nom d’Al Kwarizmi va donner le mot Algorithme et le traité qu’il écrit alors, le mot Algèbre.
Vers le XVIe siècle apparaissent des orgues de barbarie fonctionnant avec un cylindre à picots, puis Basile Bouchon et Jean Baptiste Falcon respectivement en 1725 et 1728 inventent le ruban perforé puis la carte perforée qui va permettre à Jacquard de créer ses métiers à tisser en 1801 qui augmentent considérablement la productivité avec les problèmes sociaux induits qu’on connaît, révolte des canuts.
Babbage et Ada,
reprendront l’idée des cartes perforées pour le Mill la machine de Babbage 1835, programmable, ancêtre de l’ordinateur. Et cette carte perforée fera quelques décennies plus tard la fortune financière d’IBM.
Entre temps, Vaucanson a créé ses canards, copies conforme des vrais, mais copie seulement, ne pouvant être des vecteurs de la grippe aviaire qui sévit chez moi en ce moment.
Et Ada comtesse de Lovelace et fille de Lord Byron (1815-1862), première programmeuse de l’histoire de déclarer :
“La Machine Analytique n'a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même. Elle peut exécuter tout ce que nous saurons lui ordonner d'exécuter.
Elle peut suivre une analyse; mais elle n'a pas la faculté
d'imaginer des relations analytiques ni des vérités.
Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominer:”
Pour résumer, je dirais:
Intelligence naturelle : aimer, souffrir, penser, chercher, connaître, se tromper, tricher, construire.
Intelligence artificielle : agir, faire, simuler, dominer,
apprendre.
Le réseau, émergence technologique
Avec le développement des réseaux, sont apparus les systèmes dits client/serveur. Dans un tel système, on considère des
processus qui communiquent entre eux et se partagent des ressources communes. Le processus qui gère la ressource partagée s'appelle un serveur, celui qui la sollicite s'appelle un client voyez déjà la charge sémantique du vocabulaire. Ces systèmes évoluent vers des systèmes distribués (dont je fus l’un des pionniers en France il y a 35 ans !) dans lesquels tout processus, ou toute machine comme un robot par exemple qui supporte de tels processus, est indifféremment et tour à tour,
voir simultanément client et serveur sur des applications multiples.
C’est l’ère d’Internet
Internet ouvre ainsi l’ère des hackers ; de l’Ubérisation et du bitcoin basé sur le concept de la chaîne de blocks (block
chain) qui viendra quelques décennies plus tard, mais aussi de
Google, Amazon Facebook et d’une interconnexion forte à
travers les communications téléphoniques.
Le capitalisme s’empare de cette technologie disruptive à
l’échelle planétaire dans trois directions au moins qui ne sont
évidemment pas contradictoires.
- L’une consiste à travailler au plan international en essayant de nier la compétence des états, s’appuyant sur le réseau informatique mondial (J’avais attiré l’attention sur cet aspect dans l’ouvrage Cyber Révolution éd. Le temps des cerises en 2002 déjà.);
- une autre consiste à provoquer une rupture dans
l’accumulation du capital et jouer par rupture technologique sur la baisse du taux de profit pour le capital, en faisant payer le réseau et son entretien par la puisssance publique;
- une troisième liée étroitement aux deux autres veut « prendre le pouvoir » sur l’économie mondiale, et pas seulement virtuelle.
Pour ce qui concerne les états, la définition classique qui veut qu’état signifie « une organisation délimitée par des frontières territoriales à l’intérieur desquelles les lois s’appliquent et où des institution exercent l’autorité» est considérée caduque, dépassée par ces acteurs3. Les entreprises transnationales aidées par la mise en réseau, et plus particulièrement les plateformes informatiques, combinent le local et le global, elles opèrent localement dans des territoires géographiquement délimités, mais de façon globale. Ainsi la finance mondiale tend à échapper à l’autorité des états dans lesquels ou au détriment desquels elle opère. La mise en place de monnaies virtuelles électroniques quasi infalsifiables comme le Bitcoin ou Etherum est encore une autre façon de s’attaquer aux prérogatives des états.
Un taux de profit gigantesque :
Là, on règle la baisse du taux de profit, ce sont les états si vilipendés par ailleurs qui assurent la pérennité et l’entretien de l’internet, et les privés qui en tirent profit, c’est classique , on fait payer l’entretien et les frais fixes par le public et on privatise les profits. Le poids des propriétés immobilières (immeubles, machines) sont ultra-marginales, et des brevets nécessaires à cette activité sont minimes à côté de la capitalisation boursière, du chiffre d’affaires et du profit associé, il y a très peu de salariés eu égard au chiffre, ainsi Uber compte à peine plus de 2000 salariés dont aucun n’est chauffeur, par contre plus de 160.000 chauffeurs-contractant dans le monde vendent leur force de travail via Uber.
Capitalisme de plateformes
C’est un capitalisme opportuniste, prédateur qui "saute sur tout ce qui bouge" pour faire du fric aux dépends de la société, c'est la mentalité du far-ouest, sans foi ni loi. C'est ici ce qu’on nomme le capitalisme de plateformes dont Uber est un exemple emblématique. En fait il s’agit d’un système d’algorithmes relativement simple qui agit à l’échelle planétaire et qui permet d’échanger des biens et services, en collectant, gratuitement, et le plus souvent à l’insu des internautes, les informations locales, individuelles souvent, et traitant des Big Data. Pour ce faire il suffit de posséder des « fermes » de serveurs pour stocker toutes ces données. Mais là, dans ces fermes, la vache à lait, c’est nous. Ce capitalisme aussi est parasitaire, il capte la valeur produite ailleurs, il ne participe en rien à l’économie de production matérielle, économie de contribution et de partage. Ces plateformes se déclinent en 3 genres qui peuvent cohabiter.
1) Accaparement des données et informations glanées gratuitement auprès des utilisateurs sans qu’ils n’en sachent rien la plupart du temps (traces numériques), traitement éventuel et revente (Google et Face de bouc). Quand le produit est gratuit, c’est que c’est toi le produit ! (Au 23/01/2017 La Commission nationale française de l'informatique et des libertés (Cnil) a mis en demeure l'entreprise Microsoft de cesser la collecte excessive d'informations sur la navigation des utilisateurs sans leur consentement à partir de windows X).
2) Prélèvement d’une commission sur les transactions
financières censées rémunérer les échanges de services, comme Amazon, Booking ou Ebay, ou encore Le Boncoin ;
3) Biens et services en échange d’une transaction financière. Les biens et services en question sont faits par ceux qui se sont inscrits sur la plateforme rémunérées d’une fraction du prix payé par le client du bien ou service rendu. C’est le cas d’UBER, Air Bnb, AMT5. Les chauffeurs inscrits sur la plateforme UBER. Les clients accèdent à cette plateforme via un media tel le téléphone, un ordinateur… UBER localise et fournit le véhicule. Le paiement se fait à la fin de chaque course par prélèvement bancaire opéré par UBER qui détermine automatiquement, via un algorithme contrôlé par UBER qui fixe les tarifs (80% pour le chauffeur – courtage énorme de 20% pour Uber, une manne !). Le chauffeur là est un auto-entrepreneur lié pieds et poings liés à UBER par un contrat.
Comme l’écrit Yann Le Pollotec dans le n° 12 de la revue
Progressistes, voir : https://revue-progressistes.org/
le chauffeur n’est pas un salarié d’Uber mais un contractant. Uber n’a aucune obligation envers lui si ce n’est d’être l’intermédiaire grassement rétribué entre lui et le client.
Il ne bénéficie d’aucune protection sociale. Il fournit à titre gracieux les moyens de production : sa voiture, son smartphone, son GPS. Il est en situation de précarité totale puisqu’entièrement dépendant à tout instant de l’offre et de la demande de transport sur son territoire. Il est en quelque sorte « entrepreneur de lui-même » pour reprendre l’expression de Michel Foucault caractérisant l’idéal de néolibéralisme.
Le contractant d’Uber est dans une situation équivalente à
celle du docker vis-à-vis des aconiers avant le statut de 1947.
Le risque est que cette situation de contractants se généralise tant elle est alléchante pour le capital, en commençant peut-être par les services, et ensuite dans l’industrie comme des tâches de maintenance pour commencer. Les CDD en sont une préfiguration ainsi que la loi dite « Travail » qui devrait plutôt s’appeler esclavage et tout le discours sur la flexibilité.
De fait, le monde du travail déjà bousculé par des réorganisations incessantes se trouve en situation de disruption et donc sur la défensive (d’où la proposition communiste de sécurité emploi-formation) faute que ses organisations aient eu les moyens d’anticiper pour être capables de peser suffisamment sur le cours des choses.
On peut distinguer en gros 3 grandes catégories de travailleurs impactés par ce capitalisme de plateformes :
- Des innovateurs, traduisez : entrepreneurs et employés de start-up, « free lance » d’élite ;
- le salariat traditionnel des institutions, des services publics, et la classe ouvrière classique de l’industrie
lourde en diminution sensible et menacé à la fois sur place par la robotisation et par l’externalisation ;
- Une quantité de plus en plus importante de contractants indépendants, d’auto-entrepreneurs, … dans une
situation de précarité totale, formant de fait un socle en expansion de travailleurs très pauvres exploités au dernier degré !
Un homme qui ne dispose d’aucun loisir, dont la vie
tout entière, en dehors des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc., est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu’une bête de somme. C’est une simple machine à produire la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement. Et pourtant, toute l’histoire moderne montre que le capital, si on n’y met pas obstacle, travaille sans égard ni pitié à abaisser toute la classe ouvrière à ce niveau d’extrême dégradation. K.Marx Salaires prix et profits
Intelligence artificielle et apprentissage
Comme expliqué supra, en informatique, on utilise des algorithmes et le codage de ces algorithmes en un langage compréhensible par la machine se nomme programme. La théorie de la complexité algorithmique nous apprend qu'il existe un certain nombre de problèmes, bien sûr, les plus intéressants, pour lesquels, quelle que soit la puissance des ordinateurs utilisés, le temps de calcul nécessaire à la résolution exacte de problèmes de petite taille (une centaine de variables) est de l'ordre de quelques milliers de siècles. On se contente alors d'utiliser des algorithmes qui donnent de "bonnes solutions", qu'on appelle des heuristiques, voire des "solutions approchées".
Probablement Approximativement Correct
L’une des techniques reine de l’I.A. est l’apprentissage automatique qui consiste à concevoir des algorithmes susceptibles d’apprendre à partir d’échantillons pris dans des bases de données ou obtenus par des capteurs. C’est le principe même des systèmes évolutifs qui s’adaptent à leur environnement, ils ont un comportement probablement approximativement correct pour évoluer dans le contexte des contraintes dudit environnement, qu’il s’agisse des règles du jeu de GO apprises au fur et à mesure des parties jouées ou
de l’évolution des espèces animales.
Ce qu’il faut remarquer ici c’est le « approximativement ». C’est le fait de cette approximation qui autorise l’évolution, le progrès. Si un algorithme n’est pas approximatif dans un environnement changeant, il n’est plus adapté lorsque l’environnement change.
C’est cette capacité à apprendre à partir des informations fournies par les internautes eux-mêmes qui est mise en
œuvre par les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) pour
analyser les comportements de chacun, en élaborer un profil commercial et proposer des services ou produits adaptés avec une grande pertinence. Les mêmes techniques peuvent servir à prévoir l’évolution de notre santé et à tenter de prévoir les comportements humains et sociaux en général. La maîtrise de ces techniques et des outils permettant de les mettre en œuvre est un enjeu de démocratie.
Enjeu stratégique
En effet, si les techniques d’I.A. permettent l’élaboration d’un profil commercial, elles peuvent également servir une organisation malveillante. L’évolution actuelle du libéralisme, le libertarianisme, va dans ce sens. Le but étant de mettre au point des techniques (blockchain par ex.) afin de contourner les institutions, états et intérêts collectifs pour réduire la société à des rapports contractuels entre individus isolés, la société étant alors réduite à un ensemble
d’individus juxtaposés regroupés dans des entre-soi tribaux en fonction d’intérêts particuliers. Il y a un risque avéré de domination par des entreprises capitalistes dont aujourd’hui le capital est supérieur à celui de bien des états et dont la capacité et la volonté de nuire sont extrêmement préoccupantes.
PITAC
De même dès le XXe siècle, les USA ont pris la mesure des transformations en cours et de la puissance disruptive de ces
technologies dans leur soif de prédation et domination mondiale. Dès 1994, le gouvernement US a créé le PITAC dont le but avoué est d’assurer la domination impérialiste US sur le monde entier. Dans le même mouvement, l’I.A. peut permettre de développer des forces productives susceptibles de libérer l’humanité des tâches ingrates ou tout au moins de les ramener à une activité très marginale. Les outils fournis par la révolution numérique peuvent être des éléments de libération, il y faut une volonté politique et une organisation. Ces nouvelles forces productives permettent d’envisager une production matérielle de satisfaction des besoins humains ne nécessitant que très peu d’heures de travail aliéné, une réduction drastique du temps de travail à revenus au moins constants est possible, bien au-delà de ce que proposent les programmes politiques les plus audacieux.
La Cyber Révolution ( Voir Cyber Révolution ref. supra)
Ce qui caractérise une révolution, c’est qu’elle bouleverse non seulement la façon de produire, mais également les rapports sociaux et sociétaux, ce fut le cas de la révolution industrielle, prolongée par la révolution scientifique et technique qui n’en a pas vraiment modifié les rapports sociaux de production ni les rapports sociétaux, elle les a amplifiés.
Ce qui caractérise aujourd’hui notre société c’est qu’elle forme un système unique de systèmes, vivants ou non, imbriqués, dynamiques et en interaction, en un mot, un système cybernétique.
On ne peut traiter de la préservation de l’environnement sans poser la question de la production agricole ou des déplacements individuels, ou de la façon de produire (d’où par exemple la vogue des circuits courts). Le problème qui se pose désormais à l’humanité et qui va devenir de plus en plus prégnant et urgent, c’est de gérer ce
système global dynamique, cybernétique. La Cyber révolution6 dont on peut dire qu’elle a démarré au début des années 2000 repose sur trois piliers :
- la révolution numérique et cognitique que nous évoquons ici
qui est centrale ;
- la révolution bio-technologique ou encore métabiologie dont on perçoit les prémices (Pour avoir une idée de ce qui bouge de ce côté là :http://people.seas.harvard.edu/~valiant/PAC Voir aussi Gregory Chaïtin Proving Darwin: Making Biology Mathematical http://vintagebooks.com ; Et aussi en français : La machine α: modèle générique pour les algorithmes naturels http://arxiv.org/abs/1304.5604 );
- la révolution énergétique en cours8.
C’est un nouveau système technoscientifique qui se met en place et qui bouleverse l’organisation de la société, c’est ce qui fait révolution. Tous les éléments y sont intimement liés, c’est en cela qu’on peut parler d’un système cybernétique. La façon dont les hommes s’empareront de ces possibilités, dont s’opérera cette transformation, dans l’intérêt de qui, de quelle classe, est l’enjeu actuel, l’avenir est ouvert.
L’aliénation :
Marx refonde le concept d’aliénation. Il le considère, comme le produit d’une période historique de développement et par là contingent et dépassable9. Pour ce faire il en restitue le sens profond dans la période historique du capitalisme. Ainsi le concept d’aliénation est-il daté, propre à une période historique donnée. La période actuelle est celle du capitalisme, le concept d’aliénation y est donc attaché, il doit être décliné en fonction de cette réalité qui sous-tend tout autre. Ce qui caractérise le capitalisme jusqu’à présent, dont le but est l’accumulation du capital, c’est précisément l’exploitation du travail vivant, l’extorsion de la plus-value, car hors la nature qui fournit de la valeur d’usage, seul le travail vivant produit de la valeur. C’est donc bien en ces termes qu’il convient de poser essentiellement le problème de l’aliénation.
Aliénation de classe, aliénation de l'individu
Dans les manuscrits de 1844 Marx, comme Hegel, part de
l’individu et de son aliénation aux aspects multiples pour appeler à le libérer de toutes les aliénations, toutefois il ne les met pas toutes sur le même plan, c’est le travail aliéné qu’il met en avant, lié à la propriété privée des moyens de production et d’échange, un travail contraint qui pèse sur les hommes, les prive de leur autonomie, empêchant l’individu de donner du sens à son activité, d’avoir la maîtrise de sa geste. Cette aliénation individuelle renvoie à une aliénation de classe. En effet, puisqu’il y a individus, il y a des êtres différents, et donc des capacités, des potentialités en chacun qui sont différentes. Le rapport d’exploitation capitaliste fait que les individus qui forment la classe des exploités, les prolétaires10 (ceux contraints à vendre leur force de travail), ne peuvent développer ces potentialités que dans le sens où
elles servent aux exploiteurs. Ils ne peuvent chacun développer ainsi leur individualité. Le capitalisme aliène l’individu exploité. C’est bien là une aliénation de classe. Là est le rapport dialectique entre individu et société, individu et classe. C’est ce que dit Marx lorsqu’il écrit dans Le Manifeste
« … le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »
L'aliénation produit de l'histoire de l'humanité
L’Histoire pour Marx est inséparable du processus d’hominisation, c’est-à-dire de l’action des hommes sur la nature et donc aussi sur l’humanité elle-même. L’histoire des hommes, du processus d’hominisation, est celle de leur action de transformation du monde qui les entoure, de leur forces productives. Il s’agit de l’acquisition et l’élaboration de forces productives de plus en plus performantes. Elle est création continue de l’homme sui generis par l’homme dans
son développement dialectique, en rapport avec son environnement, physique comme social. À propos de cette dialectique, Marx écrit en se référant à Hegel « avec –la négation de la négation- Hegel a trouvé l’expression abstraite, logique, spéculative, du mouvement de l’histoire » (Manuscrits 1844). Toutefois Hegel ignore le monde réel, celui accessible par les sens, le monde « palpable» et « raisonnable », le seul en réalité qui soit perceptible. Le seul travail qu’il reconnaisse est celui de l’Esprit. Or le seul travail qui vaille c’est celui qui allie dialectiquement la pratique consciente et réelle des hommes de transformation de la nature dont la société et leur propre existence, en tant que groupe, société, en tant qu’individu, mais aussi en tant qu’espèce. Or c’est la nature même des rapports sociaux qui se créent lors de ce processus qui détermine –ou non-, l’aliénation. Dès lors que le produit du travail est directement mis à disposition à la fois de la collectivité et des individus, il n’y a pas aliénation, d’autant si le travail en question n’est pas contraint.
Je vous incite là, alors que vous pourriez penser que je suis hors sujet, à méditer sur cette dernière phrase à la lumière de
ce qui se passe avec le logiciel libre en informatique, mais
aussi les FabLab, la licence libre open source. Il ya une réaction à la privatisation :
« Les licences libres sont nées en réaction à un processus de verrouillage de l'informatique. Apparues à l'origine pour protéger des logiciels, elles se sont ensuite étendues à tout type de création sur le même modèle. L'idée fondamentale, philosophique, est d'ouvrir totalement son œuvre afin de travailler en toute transparence, dans un esprit de confiance, de partage et de pérennité. » Richard Stallman
Aliénation signifie in fine dépossession ou, ce qui revient au
même obligation non choisie, soumission obligée. Ainsi, Marx
écrit-il que «l’économie politique n’a exprimé que les lois du travail aliéné».
L’idéologie bourgeoise, l’économie politique, la philosophie, se meuvent au sein de l’aliénation et par rapport à elle, sans
chercher à la dépasser. Il s’agit là d’un caractère de classe. Fondamentalement, le problème de l’aliénation renvoie à la position de classe. C’est aussi pourquoi Louis Althusser peut affirmer que le « discours philosophique, c’est la lutte des classes dans la théorie ».
Pour la bourgeoisie et ses laudateurs, la forme historique que prend l’aliénation du travail, et donc aussi du travailleur, dans les conditions du régime capitaliste est la forme éternelle et unique du travail des hommes. C’est « la fin de l’histoire » chère à Fukuyama.
L’économie politique bourgeoise se place du point de vue de l’empirisme, s’interdisant d’aller au-delà de ce qu’elle
considère comme des faits intangibles, les rapports humains qui les engendrent et en rendent compte, et la condition humaine qui en découle. Là est la source de toute aliénation.
L’exploitation, les rapports de propriété sont à la source de la domination et donc aussi de toute aliénation, l’exploitation
étant extorsion, dépossession. On peut distinguer quatre moments essentiels de l’aliénation du travail.
1. L'aliénation du produit du travail. Lorsqu’il est vendu, un produit entre dans un circuit d’échange pour devenir marchandise, il échappe ainsi à son producteur. Ainsi obéit-il à des lois qui sont extérieures à son producteur et sur lesquelles, individuellement celui-ci ne peut agir. Le producteur se trouve dominé par ces lois auxquelles il ne peut échapper, il est dominé par sa production, le produit de son travail;
2. l’aliénation du travailleur, ou « du travail ». C’est la force de travail devenue marchandise et devenant comme toute marchandise impersonnelle et anonyme, extérieure en quelque sorte au corps physique qui la porte, lequel en est par là dépossédé, aliéné. Le producteur ne possédant pas les moyens de production n’est pas seulement dépossédé du produit de son travail, il perd le rapport entre la fin consciente choisie que s’assigne l’homme dans son travail et les moyens qu’il met en œuvre pour atteindre cette fin. Le producteur- créateur se trouve ainsi séparé du produit de son travail qui non seulement ne lui appartient plus mais qui n’est alors plus la réalisation de ses projets personnels. Il réalise les buts d’un autre, avec souvent les moyens d’un autre, imposés, sans nécessairement y adhérer, par obligation, l’obligation de « gagner sa vie ». Ainsi l’homme cesse d’être lui-même, celui qui décide des fins, il devient un moyen, un moment du procès de production au même titre qu’une machine, sauf qu’il
produit plus que ce qu’il consomme, et que, hors la nature qui fournit de la valeur d’usage, il produit lui, de la plus-value ; En particulier là, « l’UBERISATION » est une aliénation majeure, on en revient dans la première mouture, celle qui prédomine si on ne mène pas la lutte de classe ;
3. l’aliénation de l’acte de travail.
Le travail vivant du producteur, devient aux mains du détenteur des moyens de production, de leur propriétaire, un travail mort accumulé sous forme de capital. C’est un avoir étranger à l’être qui l’a produit, l’asservissant au cycle de la marchandise. Dans le régime de propriété privée, le travailleur est non seulement séparé du produit de son travail, mais de l’acte lui-même. Le détenteur, qu'il soit individu ou classe sociale, des moyens de production n’impose pas seulement ses fins, mais aussi ses moyens, ses méthodes, son organisation, voire sa façon de penser ;
4. l’aliénation de la vie sociale. La propriété privée des moyens de production et d’échange, c’est de fait la privatisation par quelques-uns du travail des générations qui nous ont précédé. Tous les moyens d’action sur la nature, moyens de production, existant à un moment historique donné, la culture, les représentations du monde et de la société elle-même, les connaissances scientifiques et technologiques, les techniques sont une production des générations qui nous ont précédées pendant des centaines
de millénaires. C’est le fruit du travail, de la créativité et de la pensée des générations antérieures. Cette aliénation entraîne une déshumanisation.
Le mort saisit le vif
Par la logique de l’exploitation capitaliste, au stade actuel du développement de celui-ci, le travail vivant produit une marchandise qui lui échappe, passant au pouvoir et à l’avoir du propriétaire des moyens de production. Le travail mort domine le monde vivant, et le
domine de plus en plus au fur et à mesure que s’accumule le capital. C’est là la loi générale de l’accumulation capitaliste décrite par Marx dans le capital. C’est l’imposition de cette loi de la marchandise et de son corollaire, l’accumulation, à toute la société qui est, en système capitaliste, au centre de toutes les autres aliénations car les rapports entre les hommes s’y transforment en rapports entre les choses
(réification de la marchandise). Tous les aspects de la vie sont concernés par cette aliénation, à tout moment, elle déshumanise les individus et divise la société, elle infère les discriminations. L’individualisme est le produit de ce système qui morcelle la société, pour le plus grand profit de quelques- uns.
Les hommes, aliénés par les lois inhumaines de l’avoir y perdent leur être.
L'aliénation corrompt la création
C’est en cela que l’émancipation de chacun est la condition de l’émancipation de tous. La liberté est un mythe car ce régime de la propriété privée des moyens de production et d’échange réduit à la position de se vendre ou de vendre leur force de travail tous ceux qui ne possèdent pas ces dits moyens.Le rôle du discours communiste, dans le
combat au jour le jour contre toutes les aliénations est précisément de mettre en évidence les relations existant entre ces différentes aliénations. Ceci afin de mettre en
évidence où porter l’effort principal (mais, bien entendu, pas
exclusif) et aider à la prise de conscience de la nécessité du dépassement du capitalisme. C'est sans doute là historiquement que se trouve le levier principal de la révolution prolétarienne, c'est-à-dire de la négation - dialectique- de la classe des prolétaires. C'est le rôle de la bataille idéologique de la classe et des catégories
exploitées qui devraient se concentrer sur cet aspect.
L'actualité de l'aliénation
Le système capitaliste en sa forme néo-libérale actuelle se présente sous des arguments d’évidence, parfois de science
–économique- (voir l’inénarrable Langlet à la télévision) , qui est en fait un ravalement de l’idéologie des boutiquiers du
XIXe siècle, le libre-échangisme, qui à partir des années 1970 a remis en cause, tous les acquis sociaux d’abord des classes populaires, puis maintenant des couches moyennes, notamment les acquis du C.N.R. Cette politique a été mise en place à partir de Reagan et Thatcher dans les années 1970, elle a vécu sa toute-puissance lorsque la social démocratie est arrivée au pouvoir; les sociaux démocrates ont libéralisé les flux de capitaux, remis en cause la séparation des banques de dépôt et des banques d'investissement. Ils ont été les fourriers du capital financier.
Le capitalisme est prédateur
Tout au long du 20e siècle, le capitalisme a été contenu par le fait qu'il avait un ennemi : le communisme et plus
particulièrement le "camp socialiste" et essentiellement l'URSS qui avait infligé une défaîte de premier ordre aux tentatives de renversement du pouvoir des soviets. La bourgeoisie française ne s'y trompait pas qui avait pour mot d'ordre "Plutôt Hitler que le Front Populaire". Les classes dominantes ont alors dû composer avec les classes populaires, abandonner une part de leur domination pour que les couches moyennes adhèrent à la démocratie libérale.
Hélas la victoire contre le nazisme était une victoire à la Pyrrhus, rappelons ici que la classe 42 a été décimée à 80%, et les classes 40,41,43 durement touchées, ces cadres qui dans les années 60 à 70 eussent été la relève des élites, garnissaient les grands cimetières sous la Lune. La guerre d'attrition menée par l'impérialisme doublée d'une course aux armements ruineuse, a eu raison de l'expérience socialiste du XXe siècle, entraînant les tragédies dont sont aujourd'hui victimes nombre de peuples opprimés. Dès lors que le capitalisme n'a plus eu après 1989 d'ennemi irréductible, on a vu réapparaître le visage réel du capitalisme qui n'existe plus que pour lui-même. Il ne sert seulement qu’à produire encore plus de capital faisant fi des individus. Il s'impose contre la volonté des peuples, tout en gardant les apparences de la démocratie. David Rockefeller, fondateur du groupe Bilderberg et président de la Commission
Trilatérale, déclarait dans Newsweek en 1999: «Quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l'entité adéquate pour le faire.». Tous les discours de la propagande de la réaction prétendant qu’il faut gérer les administrations, voire la recherche, les écoles, les hopitaux, tout quoi comme une entreprise sont marqués à ce sceaux !
Perversion de l’idée de Progrès.
La société de consommation et du bien être agit à travers une idéologie du progrès totalement détachée de l'idée de
progrès de l'humanité, de progrès de l'émancipation. Cette idéologie est basée sur l'idée du bien être, de la jouissance ; ce que Clouscard appelait le capitalisme de la séduction. C’est efficace parce que tout ceci est présenté comme l'objectivité pure et détaché de tous les attributs habituels de l'idéologie.
Il suffit d'ailleurs de regarder comment sont présentés les débats idéologiques dans les médias. Les médias sont seulement au service de la seule idéologie néo-libérale, ce sont des organes de propagande, de mise en condition des masses, l’artillerie de la guerre idéologique (lire Propaganda de Edward Bernay). C'est la fabrique du consentement dénoncée par Noam Chomsky. On tient toujours un débat moral, sur l'immigration, sur l'ouverture, sur le protectionnisme, et on ne va jamais voir les dessous de cette propagande, ni le socle idéologique : à qui profite ce système ? Le système profite évidemment aux actionnaires des grandes multinationales qui ont confisqué l'économie à leur seul profit, multinationales anglo-saxonnes et même américaines pour l’essentiel, en particulier les GAFA dont la capitalisation boursière atteint les 600 milliards de $, ce qui soit dit en passant correspond très exactement au budget militaire US.
Il y a aujourd'hui une concentration des médias dans les mains de groupes capitalistes qui mènent la bataille idéologique. Les
journalistes sont soumis au pouvoir économique, ils font partie, à leur corps défendant parfois (pas toujours), d’un système de propagande !
L'enseignement dans la guerre idéologique
Outre l'enjeu idéologique lié à l'enseignement sous influence de l'histoire contemporaine, consistant à nier les causes et
les rôles des uns et des autres dans les récents conflits mondiaux, dénoncé courageusement par la grande historienne Annie Lacroix-Riz, il y a depuis trente ans un mouvement d'uniformisation des systèmes éducatifs sous les conseils des grandes instances internationales, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou de l'OCDE, à travers notamment les textes qui accompagnent les études PISA qui dictent aux différents pays ce que devrait être un bon système éducatif. Ces recommandations vont toujours dans le sens d'un utilitarisme qui ferait de l'éducation un «service rendu aux entreprises». On occulte totalement la citoyenneté, la dimension culturelle, patrimoniale, civilisationnelle de l'éducation. Et bien sûr la dimension essentielle de l'éducation qui est l'émancipation des individus. Les connaissances, le savoir sont vus là seulement comme un capital que chaque individu va pouvoir faire
fructifier pour participer à la croissance, le maître mot est
«employabilité». On occulte ainsi le rôle émancipateur de l’école à transmettre des savoirs universels qui donnent cette capacité aux individus de lire le monde. C'est ce qui fit autrefois la grandeur et le rayonnement de l'école française lorsque la bourgeoisie était encore la classe révolutionnaire. Il y a bien une globalisation à l'œuvre dans l'éducation, au service de ce système économique.
La démocratie ne joue pas le rôle qui devrait être le sien, permettre l'expression de la souveraineté des peuples
et, à travers cela, de la souveraineté de chaque individu en tant que citoyen. La démocratie néo-libérale se réduit au progrès indéfini de droits individuels. Cette avancée des droits individuels se fait dans la logique, du bien et du mal, héritage idéologique de la religion (et ne dit pas qui dicte le credo qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal ?). En fait, il s'agit avant tout de morceler la communauté nationale de chaque pays en tranches d'individus ou de petites communautés et de les traiter comme une cible marketing. Les individus sont ainsi empêchés de se forger la volonté citoyenne nécessaire à la lutte contre les intérêts capitalistes.
En démantelant la pensée majoritaire qui est l'essence même de la démocratie, on tue la capacité à lutter contre l'appropriation de l'espace et du bien public par des intérêts privés.
La révolte, pour contrer la révolution
Il y a dans les révoltes par le vote (Brexit, Trump…) le parfum d’une fronde contre un système dont les citoyens ne veulent
pas mais qu’on leur a imposé. Personne ne peut approuver
Donald Trump, mais justement, nous sommes englués dans de fausses alternatives et le peuple de France est également menacé par cette situation ! Ce n'est pas parce que nous sommes attaqués par un obscurantisme religieux multiforme, (n’oublions pas le retour en force des pseudo-théories créationistes ou de dessein intelligent) qu'il faut refuser de voir l’aliénation que nous évoquons, ne serait-ce que parce qu’elle fait le lit de l’obscurantisme se réclamant de l'islam. Cette aliénation, déstabilise les Etats-nations. Cette mondialisation capitaliste s'appuie sur le consumérisme, l'abrutissement généralisé des populations et finalement sur leur enfermement dans la simple consommation et dans une misère sociale, morale et intellectuelle de plus en plus grande, la dégradation du système d’enseignement en témoigne qui permet de moins en moins un accès à la pensée critique au profit de l’apprentissage ; tout un programme. C'est la raison pour
laquelle la révolte par le vote que l'on observe un peu partout est une des formes de la colère des peuples, même dévoyée. Face à cette situation, la réaction depuis quelques années est de transformer petit à petit nos institutions pour tenter de verrouiller le système démocratique. On voit bien comment le système a exclu Bernie Sanders, comment l'establishment démocrate a d'ailleurs ouvertement triché pour favoriser Hillary Clinton. Et en France comment le système constitutionnel de vote éloigne le citoyen et les partis révolutionnaires des centres de décisions. Comme disait Ford mes clients peuvent choisir la couleur de leur voiture à condition qu’elle soit noire !
Local et global, l'Etat-Nation
Ce n'est pas seulement à l'échelon national que les problèmes se régleront, mais c’est l’échelon auquel s’homogénéise et s’exprime la volonté des peuples. L’impuissance politique des
états, a été organisée. Nous devons imposer aux décideurs
politiques une obligation de puissance. Il s'agit de choisir les politiques qui auront la volonté de lutter contre ce système. C'est ça la souveraineté. Lutter contre cette globalisation qui privatise la démocratie, refuser les traités de libre-échange. Le local n’est pas une utopie lorsqu'il est compris dans un rapport avec le global. Reprendre une échelle nationale (à ne pas confondre avec nationaliste) permettra au citoyen d'avoir prise et de répondre ensuite aux grands enjeux internationaux. Le système craque de partout ; l'Europe impose à Apple une amende de 13 milliards d'euros pour tout ce dont elle a
bénéficié comme largesses fiscales de la part de l'Irlande. Ça ne s'est fait que parce qu'il y a eu 2005 en France, le référendum Irlandais, le Brexit et qu'il y a eu la remise en cause populaire des traités de libre-échange. C'est la voix des peuples qui peut permettre à l'Europe de retrouver son rôle.
Au départ, il s'agissait de créer un marché intérieur, d'échanger
entre pays qui auraient les mêmes conditions et qui
œuvreraient ensemble parce qu'ils auraient la même vision et la même culture de ce que seraient les droits sociaux des travailleurs, ce qui, en soi était déjà illusoire. Ceci a été
complètement brisé en ouvrant les frontières au nom d'une idéologie libre échangiste qui ne profite qu’aux actionnaires des multinationales et à la finance internationale.
Transhumanisme
Un des problèmes qui va émerger - non seulement du simple point de vue de la spéculation éthique, mais concrètement en ce sens que la technique tôt ou tard permettra de modifier l'humain - c'est celui de l'eugénisme, de la transhumanité, c'est-à-dire de l'avenir de l'homme en tant qu'entité biologique après l'humain que nous connaissons, dont nous faisons partie.
Le principe qui préside à cette démarche se nomme extropianisme et se définit lui-même comme une "philosophie transhumaniste" (les guillemets sont de moi). Comme les humanistes, les transhumanistes disent se placer du point de vue de la Raison, du progrès, de valeurs centrées sur le bien de l'homme plutôt que sur une morale religieuse extérieure.
L'idée est de dépasser les limites physiques actuelles de la vie et des conditions physiologiques de celle-ci. Il s'agit alors de se poser les questions de ce que serait, cette "transhumanité" qui défie l'âge et les limites humaines au nom de la science et des progrès technologiques. La question du dépassement humain actuel, par amélioration de nos capacités intellectuelles, par amélioration aussi de certaines capacités physiques, est posée, elle est biologiquement crédible à plus ou moins long terme. On peut résumer leur idéologie par cet aphorisme : « L’humanité semble un magnifique commencement, mais pas le dernier mot. »
Demain de nouvelles races humaines ?
Dans cette optique, l'humanité actuelle est vue comme une étape transitoire dans le développement de l'intelligence, comme un début, pas comme mot de la fin. Il reviendrait alors à l'humanité actuelle de provoquer sa propre mutation, de façon consciente. Certes, les progrès de la médecine, de l'hygiène ont permis déjà un allongement de la durée moyenne de vie (dans les pays hautement développés toutefois) et les problèmes ne sont déjà plus les mêmes. Avec les tests sur l’anoploïdie (les trisomies), le spinabifida, les malformations fœtales en général, les interventions intra-utérines, voire les mères porteuses, la procréation assitée on est déjà entrés dans l’ère de l’eugénisme diffus. il faut voir à quel point les rues se sont vidées des idiots depuis qu’on sait les déceler dès la naissance, grâce aux technologies modernes comme le montre Bruno Deniel-Laurent, dans son livre «Eloge des phénomènes»[1]. Mais là, ce qui se profile à l'horizon, c'est une rupture biologique, une singularité. On passe d’une médecine/biologie de thérapeutique destinée à préserver les humains en bonne santé en leur évitant les avatars de la maladie, à une biologie/médecine de transformation ; l’effacement de la distinction entre «médecine thérapeutique» et «médecine d’augmentation».
Certains appellent celà LA singularité dans l’hominisation. On peut très bien imaginer à terme la fabrication de nouvelles races d'humanoïdes par manipulations génétiques de primates, humains ou autres en fusion avec la bionique. Ainsi on verrait apparaître des hommes-poissons par exemple, ou des humanoïdes porteurs de capacités particulières, sous hommes/femmes ou sur hommes/femmes suivant les besoins.
Quelle société pour les humanoïdes transhumains ?
Il semble qu'il y ait eu anthropologiquement, différentes races humaines au cours des âges, jusqu'à cinq selon S. Jay Gould[2]. Il n'y en a plus qu'une aujourd'hui, ce qui n'est pas nécessairement un progrès. Verrons-nous apparaître de nouvelles races "fabriquées" par nous ?
Techniquement, l'idée n'est pas - à terme - absurde, nous sommes la première espèce en passe d’être capable de modifier son avenir en tant qu’espèce. Il est temps toutefois de se poser les problèmes éthiques et moraux associés. Dans quelle société, avec quelle organisation ? Dans quels buts et avec quelles fonctionnalités sociales ? De tels développements sont ils encore compatibles avec la notion de marchandise, de propriété privée, et si oui, quelle structure revêtira cette société, et sinon quoi ?
Le problème de l'utilisation qu'on fait de ces techniques (et plus généralement d'une politique scientifique) est fondamentalement politique, il n’est ni technique ni moral. Lorsqu'il s'agit d'action individuelle, on peut parler en termes de morale. Là il s'agit d'avancées scientifiques touchant aux structures même de nos sociétés. Le seul garde-fou est la société elle-même, sa structure, sa logique interne. Une société basée sur l'individualisme forcené et la propriété privée des moyens d'action sur la nature, sur le culte de la compétitivité, présente les pires dangers par rapport à l'utilisation de ces avancées de la connaissance.
Ne nous y trompons pas, l'industrie biologique et biochimique - les biotechnologies - pousse dans ce sens, celui des OGM transhumains.
Quelle société est capable de maîtriser de tels développements ? Une société basée sur le profit et la propriété individuelle ou une société dont le mode de fonctionnement oblige à prendre en compte l'intérêt de l'ensemble de la communauté humaine ?
Le mégaprogramme du déchiffrement du génome humain a mobilisé les biologistes des pays les plus industrialisés dans une compétition analogue à celle de l’espace, une compétition ou la soif de connaissances nouvelles masque à peine l’urgence plus impérieuse de déposer des brevets et de conquérir des marchés.
https://www.youtube.com/watch?v=s1341NL7RdY
Notons toutefois au passage, que, dans l’esprit des Lumières, les scientifiques français qui avaient démarré sur ces bases ont fini, lors des premiers résultats par comprendre la nécessité de ne pas prendre de brevets sur leurs découvertes. Ils ont ainsi en quelque sorte «forcé la main » à leurs collègues d’outre-atlantique qui ont tout de même réussi à déposer des brevets sur les techniques employées.
Untermenschen et Übermenschen ?
C’est le rêve des nazis, être des surhommes, la race des seigneurs, les übermenschen qui règnent sur une humanité d’esclaves, les untermenschen. Là se résume l’idéologie transhumaniste actuelle venue d’outre atlantique. Disons le clairement, l’idéologie qui préside actuellement au transhumanisme est une idéologie fasciste, celle des nazis. Ces avancées technologiques, bioniques arrivent dans une société capitaliste dans une compétition sans concession qui se joue à l’échelle planétaire sans règle ni loi autre que celle du plus fort. L’ONU est plus que moins vidé de ses possibilités et la révolution cybernétique aux mains du capital tend à faire sauter les barrières, qu’elles soient étatiques, juridiques ou autres.
Un ex-ministre de l’éducation, philosophe devant l’éternel, a cru devoir écrire un livre intitulé « La mort de la mort ». Le mythe n’est pas nouveau, mais Icare s’y est brûlé les ailes !
La plaine de Mékoné est une terre de richesse et d’abondance. Tout y pousse spontanément, il suffit d’y avoir un lopin de terre pour que la richesse survienne….
Dans ce temps-là, les hommes demeuraient jeunes, les bras et les jambes toujours semblables à ce qu’ils étaient depuis le début. Pour eux, pas de naissance au sens propre, pas de mort..[1]
[1] L’univers, les dieux, les hommes récits grecs des origines J.P. Vernant, seuil 1999.